
Non à l'exclusion
Le pédiatre Gilles Julien travaille
à modifier la trajectoire des enfants en difficulté
Des enfant traités au Ritalin pour hyperactivité
alors qu'ils bougent simplement un peu trop, des jeunes qu'on
exclut de l'école parce qu'ils ont des troubles de comportement
et qui sombrent dans la délinquance à 10 ans, le
pédiatre social Gilles Julien en voit tous les jours.
Et c'est parce qu'il se refuse à accepter cette réalité
de l'exclusion que ce médecin se bat depuis des années,
notamment en fondant l'organisme Assistance d'enfants en difficulté
(AED) dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal.
"Comme médecin, vous bénéficiez d'un
grand pouvoir dans la société", a lancé
Gilles Julien aux étudiantes et aux étudiants en
médecine, lors d'une conférence organisée
par le Comité des Relations Internationales et d'actions
communautaires (CRIAC) de la Faculté de médecine,
le 2 décembre, au pavillon Ferdinand-Vandry. "En
effet, contrairement à d'autres professions, les médecins
jouissent d'une immense crédibilité auprès
des parents et des professeurs. N'hésitez surtout pas
à vous en servir pour faire bouger les choses et assurer
le bien-être des enfants."
Soigner de façon différente
Il faut dire que ce diplômé de l'Université
Laval sait de quoi il parle. Après avoir terminé
ses études de médecine, le docteur Julien a fait
"du bureau et de l'hôpital", selon ses propres
dires, avant de se rendre compte au bout de cinq ans que ce travail
routinier ne le satisfaisait pas. Pour fuir l'ennui qui le ronge,
il va offrir ses services ailleurs, en Afrique et dans le Grand
Nord québécois. Revenu au Québec, il travaille
dans une vingtaine de CLSC. "J'étais perçu
comme quelqu'un de profondément instable. Avec le recul,
je vois que je cherchais seulement à arrimer ma pratique
à mes aspirations", de souligner le pédiatre,
qui invite du même coup les futurs médecins à
emprunter ce filon. "Trouvez-vous une mission sociale et
accomplissez-la. Moi, j'ai toujours su que je voulais être
médecin pour soigner des enfants, mais de façon
différente."
Au fil de ses promenades à vélo dans le quartier
Hochelaga-Maisonneuve, l'un des quartiers les plus défavorisés
de Montréal, le pédiatre prend contact avec des
familles qui étouffent sous le poids d'un lourd quotidien:
pauvreté, délinquance et décrochage scolaire.
En 2000, il fonde Assistance d'enfants en difficulté,
un organisme qui a pour mission de dépister les enfants
vulnérables ou en difficulté afin d'améliorer
leurs conditions de vie, de prévenir les abus, la négligence
ou l'exclusion dont ils pourraient être victimes. Après
des débuts laborieux, l'AED compte aujourd'hui une douzaine
d'employés et une centaine de bénévoles.
Gilles Julien, lui, partage son temps entre le CLSC Hochelaga-Maisonneuve
et celui de Côte-des-Neiges.
L'évaluation intuitive
"Au lieu de faire attendre un enfant qui présente
des troubles de comportement ou d'adaptation et risquer que le
problème s'envenime avec les mois ou les années,
nous essayons de mettre rapidement le doigt sur ce qui ne va
pas chez l'enfant pour élaborer ensuite un plan d'intervention,
raconte Gilles Julien. C'est ce qu'on appelle de l'évaluation
intuitive. Et ça marche." Mais son travail ne se
limite pas au traitement mais touche d'abord la prévention.
En témoignent les différents projets qu'il a mis
sur pied au cours des derniers mois et qui visent à dépister
le plus tôt possible les enfants en difficulté.
Par exemple, en janvier dernier, l'équipe du docteur Julien
a réuni toutes les familles des bambins s'apprêtant
à fréquenter la pré-maternelle dans des
écoles du quartier Côte-des- Neiges afin d'évaluer
leur degré de psychomotricité. Les enfants qui
n'ont pas passé le test ont été rappelés
et aidés, de concert avec leurs parents dont un grand
nombre sont immigrés et donc très mal préparés
à ce qui attend leurs enfants à l'école.
"Quand on voit le potentiel de certains enfants et qu'on
sait qu'ils vont être tirés vers le bas à
cause du manque d'attention et de ressources, on doit se mobiliser
pour modifier leur trajectoire de vie et tout faire pour les
tirer vers le haut, indique Gilles Julien. Dans cette optique,
on a besoin de relève et de médecins sociaux qui
vont donner un coup de main non seulement aux enfants mais aussi
aux familles. Il n' y a aucune raison que des enfants ou des
familles vivent des exclusions au Québec, martèle
le docteur Julien. Il faut cesser d'accoler des étiquettes
aux enfants: enfant riche, enfant pauvre, enfant méchant,
ou enfant à risque. Avant tout, il faut donner aux enfants
l'aide à laquelle ils ont droit, et ce, sans porter de
jugement."

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