
Fish and chips
Les biologistes misent sur l'électronique
et la géomatique pour étudier les problèmes
du saumon
Au début des années 1970, Julian Dodson a passé
des semaines et des semaines à bord d'un petit bateau
qui sillonnait les eaux de la rivière Connecticut et le
détroit de Long Island pour étudier les migrations
de l'alose savoureuse. Ballotté par les vagues, transi,
trempé jusqu'aux os et sur le point de devenir fou à
force d'entendre 24 heures par jour le "tic-tic-tic"
produit par les radio-émetteurs fixés aux poissons
qu'il traquait, il s'était promis que, une fois son doctorat
terminé, on ne l'y prendrait plus.
À la lumière des recherches présentées
dans le cadre de la conférence internationale Géosalar,
qui se déroulait la semaine dernière à Québec,
les aventures doctorales de ce professeur du Département
de biologie relèvent du folklore tant les outils à
la disposition des biologistes qui étudient les poissons
ont changé. "Grâce à la géomatique
et à l'informatique, on peut maintenant faire des choses
que l'on croyait impossibles auparavant", reconnaît-il.
Les émetteurs ont été miniaturisés,
les satellites et les outils géomatiques ont remplacé
la carte et la boussole, et les mémoires informatiques
des récepteurs veillent pendant que les biologistes profitent
d'une bonne nuit de sommeil!
Le professeur Dodson, et une équipe formée de François
Martin, Richard Hedger et Jean-François Bourque, du Département
de biologie, François Caron et Daniel Hatin, de Ressources
naturelles et faune, et Frank Whoriskey, de la Fédération
du saumon de l'Atlantique, mettent d'ailleurs à profit
ces nouveaux outils pour étudier les déplacements
des saumoneaux au moment où ils quittent leur rivière
natale pour aller faire leur vie en mer. "C'est un moment
crucial pour ces poissons parce qu'ils se retrouvent en eau salée
pour la première fois de leur vie et parce qu'ils doivent
affronter des prédateurs attirés là par
l'abondance des proies, souligne le professeur Dodson. La mortalité
des saumoneaux atteint près de 98 % en mer et elle survient
au début de leur migration. Nous croyons que plus vite
ils traversent la zone entre leur rivière et la mer, le
mieux ils s'en tirent."
Afin de déterminer quels indices les saumoneaux utilisent
pour trouver leur chemin vers la mer, les chercheurs se sont
rendus à Gaspé en juin dernier, ils ont capturé
24 saumoneaux dans la rivière York au moment où
ils se dirigeaient vers l'estuaire de Gaspé et ils les
ont munis d'un émetteur. Auparavant, ils avaient déployé
dans la rivière, dans l'estuaire et dans la baie de Gaspé
un impressionnant réseau de 50 récepteurs fixes
qui enregistrent en continu l'identité des poissons marqués
qui nagent à proximité, ainsi que la date et l'heure
de chacun de leurs passages. Pendant la même période,
les chercheurs ont dressé le profil dynamique des courants
du secteur grâce à des appareils munis d'un GPS
qu'ils laissaient dériver dans le courant. Ajoutez à
cela 600 profils de salinité et de température
obtenus par la méthode classique des relevés
faits à partir d'un bon vieux bateau et les chercheurs
ont en main tous les éléments pour modéliser
les facteurs physiques qui influencent les déplacements
des saumoneaux vers la mer.
Les résultats préliminaires, présentés
lors de la conférence Géosalar, indiquent que c'est
dans l'estuaire que la progression des jeunes saumons est la
plus laborieuse. Leurs déplacements y sont cinq fois plus
lents que dans la rivière ou la baie. "Si on veut
mieux gérer les populations de saumon, il faut découvrir
quels gradients environnementaux les saumons utilisent pour migrer
et déterminer comment les activités humaines perturbent
ces gradients", fait valoir le professeur Dodson. L'abondance
des populations sauvages de saumon atlantique a diminué
de moitié depuis 20 ans. Considérant qu'à
peine 2 % des saumoneaux qui quittent leur rivière natale
y reviennent pour se reproduire, tout facteur permettant d'améliorer
la survie des jeunes aura une grande incidence sur les effectifs
de cette espèce, signale le chercheur.

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