
De Platon à Gomery
Les citoyens auraient bien des raisons
d'afficher leur cynisme à l'endroit des politiciens
"Pour l'Américain moyen, le président des
États-Unis est presque un surhomme et il ne peut mentir",
a affirmé le journaliste Normand Lester, auteur du Livre
noir du Canada anglais, le jeudi 17 novembre à l'Agora
du pavillon Alphonse-Desjardins, dans le cadre d'un débat
sur le cynisme et la politique organisé par la Chaire
publique de l'Association des étudiantes et des étudiants
de Laval inscrits aux études supérieures. "Mais,
a-t-il ajouté, avec ce que vivent les Américains
en Irak, dans une guerre terrible, entreprise sur des mensonges
proférés par leurs dirigeants et qui leur a coûté,
à ce jour, plus de 2 000 morts et des centaines de milliards
de dollars, le cynisme va peut-être atteindre un niveau
semblable à celui que l'on retrouve en Europe ou au Canada
à l'endroit des hommes politiques." Rappelant l'effondrement
du communisme en Europe au début des années 1990,
Normand Lester a mentionné que "le cynisme a eu raison
de l'URSS qui s'est effondrée presque sans effusion de
sang. On aurait imaginé une guerre civile. Mais plus personne
ne croyait à l'idéologie communiste. Les populations
s'étaient distancées du discours et avaient développé
une attitude critique. Le cynisme était généralisé."
Selon Normand Lester, peu de gens croient, de nos jours, que
les politiciens au pouvoir sont là "parce qu'ils
sont gentils, parce qu'ils disent la vérité et
parce qu'ils veulent nécessairement le bien-être
de l'ensemble des commettants". Ceux et celles qui nous
gouvernent défendent plutôt "les intérêts
de l'État vis-à-vis d'autres États avec
lesquels ils sont en concurrence. Sur le plan intérieur,
ils représentent des groupes sociaux identifiés
qui sont en conflit pour obtenir leur part des ressources".
En démocratie, a-t-il poursuivi, les politiciens ont une
relation plutôt trouble avec la vérité. "Au
Québec, l'État ne pourra plus continuer pendant
des années à offrir les mêmes services aux
citoyens. Mais aucun politicien ne va oser soulever cette question
parce que l'opinion publique n'est pas prête à l'accepter.
Donc ils mentent, ou ils évitent la question. Et ce comportement
accroît le cynisme des gens."
Une attitude très ancienne
Scandales, corruption, promesses électorales non tenues,
les raisons du cynisme chez les citoyens envers les élus
sont aussi nombreuses que variées. Et cela ne date pas
d'hier. Au dire de Normand Lester, le cynisme s'est probablement
ancré dans les populations humaines dès les débuts
de la civilisation. Un point de vue corroboré, à
sa manière, par le professeur Raymond Hudon, spécialiste
de sociologie politique au Département de science politique
de l'Université Laval. "Dans La République
de Platon, a-t-il rappelé, Socrate s'en prend
aux politiciens de son temps qui manipulaient la plèbe
et qui protégeaient la richesse de la classe dirigeante."
Le professeur Hudon a souligné que notre société
traverse une crise de la représentation qui se traduit
notamment par une participation électorale en baisse.
"Un sondage récent révèle qu'environ
70 % des Canadiens estiment que les groupes de pression sont
plus efficaces que les politiciens dans la défense de
leurs intérêts", a-t-il indiqué. Cela
dit, cynisme n'est pas synonyme de désintéressement
de la chose politique. "Ce qui semble particulier à
notre époque, a dit Raymond Hudon, est que le cynisme
est perçu comme une marque d'intelligence." Les facteurs
qui expliqueraient cette perception sont notamment le recul de
la déférence ("on ne fait plus de courbettes
devant les gens de pouvoir"), la transparence attendue de
l'action gouvernementale et le droit absolu à l'information.
"Assez paradoxalement, a-t-il ajouté, le cynisme
ambiant tient peut-être au succès des partis politiques
qui, par leurs programmes, ont amené les gens à
réfléchir davantage à la chose politique."
Soulignant que la politique n'a pas la cote, il a demandé:
"L'a-t-elle déjà eue?"
Luc Dionne, scénariste des téléséries
Omerta, la loi du silence, Le dernier chapitre
et Bunker, le cirque, et ancien attaché politique
à Québec, dit avoir beaucoup de respect pour ceux
et celles qui acceptent de sacrifier leur vie à la chose
politique. Il est cependant beaucoup moins tendre envers l'appareil
qui encadre le politicien qui accède au pouvoir. "C'est
renversant, a-t-il expliqué. Tu prends des individus,
tu les isoles complètement de la population, tu les promènes
d'un groupe de pression à l'autre et tu les entoures de
fabricants d'image et de responsables des relations de presse
qui filtrent tout, jusqu'à ce qu'il ne reste plus de la
problématique que sa plus simple expression à régler."

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