
Effets de serre sur le terrain Une table ronde organisée par l'Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société, a permis de cerner les enjeux de la prochaine Conférence de l'ONU sur les changements climatiques Avec des présentations sur l'impact du réchauffement climatique sur l'Arctique, ses effets sur la santé, l'avenir du Protocole de Kyoto et le respect de sa mise en oeuvre, la table ronde organisée la semaine dernière par l'Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société (IHQEDS) de l'Université Laval constituait un bon préambule à la Conférence sur les changements climatiques qui démarrera le 28 novembre à Montréal. Cette rencontre, organisée par l'ONU, permettra de discuter, entre pays signataires du Protocole de Kyoto, des efforts à déployer après 2012, alors qu'en théorie les émissions de gaz à effet de serre auront baissé de 5,2 %. On apprenait incidemment qu'au Canada les GES ont augmenté de 24 % ces dernières années. Si pour de nombreux citoyens du monde, cette discussion demeure pour l'instant une affaire de spécialistes, les Inuits, eux, ont déjà l'occasion d'en observer les effets sous leurs pieds, comme l'a précisé la géographe Nathalie Barrette, du Centre d'études nordiques de l'Université Laval.
Depuis quelques années en effet, la fonte du pergélisol sur lequel reposent les maisons dans l'Arctique entraîne des fissures dans les habitations et oblige parfois à les déplacer. À Salluit au bord de la Baie d'Hudson, par exemple, les constructeurs d'un nouveau développement résidentiel ont dû renoncer à leur projet après un glissement de terrain en 1998, alors que le village manque cruellement de logements. Les chercheurs ont observé que l'élévation de quelques degrés de la température avait un effet dévastateur sur le sol très riche en glace car cela le transforme en mare de boue. "Le Grand Nord est un environnement très fragile du fait de la présence de la glace, souligne Nathalie Barrette. On estime que la température moyenne pourrait y augmenter deux fois plus rapidement que sur le reste de la Terre." La géographe explique en effet que la surface de la glace agit comme un miroir, renvoyant l'énergie solaire. Si au contraire le couvert glacé et neigeux fond avec une montée des températures, une grande partie de cette énergie se trouve absorbée. "On passe d'un système de chauffage peu performant à très performant", indique la jeune femme. Ces bouleversements vont bien sûr avoir des répercussions sur la végétation et la circulation maritime. La fonte de la moitié de la banquise saisonnière d'ici la fin du siècle risque d'entraîner une plus grande exploitation des ressources gazières et pétrolières, brusquement à portée de navires. Plus au Sud Bien évidemment, les effets de la montée du mercure dans le thermomètre ne se limitent pas à la zone polaire. Il suffit d'écouter Pierre Gosselin, de l'Institut national de santé publique, évoquer dans un futur proche la hausse de mortalité lors des canicules estivales, l'augmentation de maladies infectieuses comme le virus du Nil, la maladie de Lyme, la malaria, la recrudescence de gastro-entérites avec la dégradation de la qualité de l'eau, pour avoir envie d'acheter un aller simple pour la Lune. À en croire ce spécialiste de la santé, ces phénomènes vont toucher de plein fouet les 15 % à 20 % de citoyens déjà à risque, les personnes âgées, les jeunes enfants, les handicapés, les personnes au système immunitaire plus faible. Le reste de la population n'est pas pour autant à l'abri des effets des changements climatiques. Il faut en effet prévoir une hausse des cancers de peau et sans doute une augmentation des maladies mentales liées à la perte d'emploi provoquée par un bouleversement dans le secteur des ressources naturelles, ou tout simplement l'inquiétude. Est-on préparé à faire face à ces bouleversements? Pas vraiment, rétorque Pierre Gosselin. "Jusqu'à présent, nous subissons dans ce domaine la compétition avec les autres chercheurs qui travaillent sur le cancer, l'obésité ou le sida. Il faudra pourtant que le système de santé s'intéresse aux conséquences des variables climatiques." Et le Protocole dans tout ça? À écouter le juriste Maurice Arbour qui suit le mécanisme de sanctions accompagnant la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto, les décisions prises dans quelques jours à Montréal ne devraient pas bouleverser la donne climatique. Pour l'instant, le recours à la force restant exclue, les mesures restent largement volontaires. Les sanctions prévoient quand même une pénalité de 30 % supplémentaire pour chaque tonne de GES pas encore réduite en 2012. "Kyoto reste une uvre fragile, indique le professeur à la Faculté de droit, puisqu'on peut s'en désolidariser en 2008, et qu'il faudrait réduire de 50 % à 60 % les GES pour stopper les changements climatiques." Il souligne que, même imparfait, cet accord constitue quand même une première mobilisation mondiale des États pour s'attaquer aux changements climatiques. Une analyse partagée par la chercheure Évelyne Dufault, doctorante à l'UQAM. Selon elle, la rencontre entre pays signataires du Protocole va peut-être permettre de convaincre les pays émergents comme l'Inde, le Brésil, la Chine de s'associer à l'effort de réduction des GES. Jusqu'à présent, en effet, ces États se montrent réticents à prendre des mesures concrètes. Même l'adoption il y a cinq ans du Mécanisme de développement propre (MDP) n'a pas eu beaucoup d'effets escomptés. Il s'agit de technologies favorisant les énergies propres destinées aux pays en voie de développement, payées par les pays riches. Ce système a surtout engendré une augmentation de la corruption et du marché de la consultation sans vraiment aider l'environnement. Réaliste, Évelyne Dufault pense que "la réussite de la conférence de Montréal va se mesurer au nombre de pas concrets accomplis plutôt qu'en avancées spectaculaires". Elle ne s'attend pas à un engagement formel des États présents pour l'après-Kyoto, mais plutôt à une déclaration politique, moins contraignante. La suite le 28 novembre à Montréal et sur le site Internet www.ihqeds.ulaval.ca. 
| |