De la Nouvelle-Orléans à l'Ancienne-Lorette
Une gestion cohérente du territoire
permettrait de prévenir une partie des drames humains
liés aux inondations
François Anctil a une position bien arrêtée
au sujet des inondations. "S'il tombait toujours la même
quantité de pluie à la même heure chaque
jour, les problèmes d'inondation n'existeraient pas. Mais
ce n'est pas le cas et à partir du moment où on
choisit de faire du développement en zone inondable, il
faut accepter le risque qui vient avec ce choix. C'est normal
qu'une rivière déborde." La lucidité
de ce professeur du Département de génie civil
ne l'empêche toutefois pas de faire montre de solidarité
envers tous les inondés de ce monde. "Derrière
chaque inondation, peu importe son ampleur, que ce soit à
la Nouvelle-Orléans ou à l'Ancienne-Lorette, il
y a des drames humains qui se jouent", reconnaît ce
spécialiste de l'hydrologie, qui était l'invité
des Conférences Grand public de la Faculté des
sciences et de génie le 9 novembre.
Le tourbillon de cyclones, ouragans, tornades, tsunamis et tutti
quanti dont nous inondent les médias porte à penser
que le Déluge frappe à nos portes. "Statistiquement,
on ne peut pas conclure que le nombre d'inondations est en augmentation.
L'effet des changements climatiques a été mesuré
sur la température, mais la variabilité des précipitations
dans l'espace et dans le temps est trop grande pour qu'on puisse
tirer des conclusions au sujet des inondations", souligne
le professeur Anctil. Pour l'instant, on assiste davantage à
un effet média qu'à une répercussion bien
documentée de l'effet de serre.
Pourtant, selon les données internationales provenant
des compagnies d'assurances, le nombre de grandes catastrophes
liées aux inondations, qui se situait entre 20 et 40 par
an dans les années 1970, a maintenant dépassé
la centaine. "Ce n'est pas l'incidence de ces événements
qui semble en cause, mais la vulnérabilité des
populations, a expliqué le conférencier. La population
mondiale est en croissance et de plus en plus de gens s'installent
dans des zones à risques. On estime que 75 % des habitants
de la planète vivent maintenant dans une zone touchée
1 fois tous les 20 ans par une grande catastrophe. Les événements
naturels violents sont rares localement, mais fréquents
globalement."
On estime que 75 % des habitants de la
planète vivent maintenant dans une zone touchée
1 fois tous les 20 ans par une grande catastrophe
Que faire pour prévenir les drames humains liés
aux inondations? "On ne peut pas empêcher la pluie
de tomber, mais on peut réduire les risques par des moyens
technologiques comme les digues, les barrages et les canaux de
dérivation", répond François Anctil.
Ces méthodes ont fait leurs preuves, mais elles coûtent
cher et peuvent créer un faux sentiment de sécurité,
prévient-il. Il se peut qu'un système inefficace
soit mis en place et tienne le coup pendant des années
parce qu'aucun événement exceptionnel ne se produit.
À l'inverse, un bon système peut flancher un mois
seulement après son inauguration parce qu'un événement
qui ne survient qu'une fois tous les 100 ans s'abat sur la région.
La solution n'est pas toujours technologique, plaide humblement
l'ingénieur. "La technologie peut nous prémunir
contre les événements de violence moyenne, mais
c'est différent pour les événements très
violents. Il est parfois plus sage d'intervenir sur le facteur
humain." Une première mesure en ce sens consisterait
à interdire toute installation en zones inondables. "En
théorie, c'est simple, mais en pratique c'est assez compliqué
de déterminer les limites du lit majeur d'un cours d'eau,
parce qu'on peut toujours imaginer qu'une plus grosse inondation
peut survenir. C'est pour cette raison que les autorités
publiques utilisent des définitions administratives, comme
la récurrence des crues aux 20 ans ou aux 30 ans."
Face aux inondations, le risque zéro n'existe pas, plaide
le professeur Anctil. "Il faut accepter un certain risque
tout en gérant le territoire de façon cohérente.
Construire un hôpital dans une zone inondée aux
20 ans, c'est de la mauvaise gestion. Les inondations sont des
phénomènes naturels qui ont toujours existé
et qui vont continuer d'exister. Si on persiste à construire
des installations dans des zones fréquemment inondées,
on se tire dans le pied."
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