Il faut dépasser le travail éthique minimaliste Florence Piron prône l'instauration d'une culture de réflexion sur le sens moral et politique de la recherche scientifique "Notre éthique est devenue amorale parce qu'il y a un certain nombre de questions que l'on ne se pose plus comme chercheurs universitaires", affirme Florence Piron, professeure au Département d'information et de communication. Anthropologue, membre du Comité d'éthique de la recherche de l'Université Laval et du Groupe interagences en éthique de la recherche, cette dernière a fait un exposé sur l'éthique de la recherche, le jeudi 10 novembre au pavillon Félix-Antoine-Savard, dans le cadre des midi-conférences de l'Institut d'éthique appliquée de l'Université Laval. Qualifiant de "minimaliste" l'évaluation éthique imposée et régulée par les textes normatifs en vigueur, Florence Piron reproche au milieu institutionnel de ne pas chercher à instaurer une culture de réflexion sur l'action des chercheurs, "comme si tous les projets avaient le même sens moral, comme si la question des valeurs ne concernait pas les chercheurs".
Une des raisons de cette approche minimaliste serait la nécessité du respect de la sacro-sainte liberté académique. "Le principe de la liberté académique constitue la base de l'une des principales critiques des chercheurs à l'endroit des comités d'éthique de la recherche, a-t-elle indiqué. Ils disent que l'obligation de soumettre leur projet de recherche à ces comités ralentit leur travail, que les membres des comités d'éthique ne comprennent rien au travail du chercheur, notamment les représentants du public. Or, qu'est-ce que cette liberté? Est-on libre lorsqu'on doit se soumettre aux exigences des organismes subventionnaires ou des compagnies pharmaceutiques, à celles de la productivité et aux pressions des départements?" Évaluer des projets Les comités d'éthique de la recherche en milieu universitaire ont pour principale fonction d'évaluer les projets de recherche sur le plan éthique, notamment selon les normes de l'Énoncé des trois conseils en éthique de la recherche. Mais cela revient souvent à corriger les formulaires de consentement incomplets, indiquer les procédures de recrutement inacceptables, souligner les questions ou les mesures trop invasives. Les comités peuvent aussi soupeser la pertinence du lien entre le but du projet, les moyens utilisés et la protection des droits et libertés. "Par exemple, dans le but d'expliquer des retards de développement dans la petite enfance, est-il acceptable de construire une banque de données réunissant l'ensemble des données disponibles sur l'enfant et sa mère dans les banques gouvernementales, y compris sur la grossesse de la mère?, a demandé Florence Piron. Au nom de la recherche exploratoire, peut-on ainsi croiser des données de toutes sortes dans l'espoir de trouver une corrélation significative? La possibilité technique rend-elle tout acceptable?"
L'accumulation, sous forme de banques de données numérisées, d'un maximum d'information qualitative et quantitative sur tel ou tel groupe spécifique de la population, en particulier des groupes marginalisés comme les chômeurs, les malades ou les immigrants, est une pratique de recherche qui suscite des interrogations d'ordre éthique et politique. "Ces banques, a expliqué Florence Piron, peuvent être utilisées pour concevoir les politiques publiques de l'État néo-managérial qui, en cherchant à réduire les coûts de l'État-Providence, vise à maximiser l'efficacité de son action. Mais ce recours à des banques de données n'écarte-t-il pas tout débat public sur la finalité de ces politiques publiques?"
Selon la conférencière, ouvrir et rendre accessible le processus de la recherche à tous les citoyens, notamment ceux qui se sentent concernés par certains enjeux et qui veulent agir, et non seulement aux chercheurs et aux décideurs, exprime le souhait de démocratiser le savoir et d'enrichir les débats de société. "Un bel exemple de cette collaboration est la démarche du Collectif pour un Québec sans pauvreté, a souligné Florence Piron. Avec la collaboration d'un professeur de droit de Laval, Pierre Issalys, le Collectif a préparé un projet de loi en créant ses propres mécanismes de consultation et de formation."
Dans le but d'améliorer les rapports entre les comités d'éthique de la recherche et les chercheurs, Florence Piron suggère de transformer les comités en centres de ressources où les chercheurs pourraient débattre de telles questions, partager leur expérience, et où il y aurait de la formation et des conférences. Pour plus d'information sur le Comité d'éthique de la recherche de l'Université: www.vrr.ulaval.ca/deontologie/cdr/com.html. | |