
Un effet de générations?
Un troisième référendum
sur l'avenir politique du Québec pourrait être gagnant
pour le camp du Oui
Gilles Gagné et Simon Langlois, deux professeurs du
Département de sociologie, lancent un pavé dans
la mare: alors que plusieurs le croient moribond, l'idéal
de l'indépendance du Québec représente,
encore aujourd'hui, une force tranquille qui conserve tout son
potentiel de changement sur le plan politique. Dans une étude
à paraître en décembre dans L'annuaire
du Québec 2006, les deux chercheurs avancent qu'environ
53 % des électeurs donneraient un appui ferme à
une question portant sur la souveraineté du Québec
assortie d'une offre de partenariat économique avec le
reste du Canada. En 1995, quelques jours avant le vote du référendum
du 30 octobre, l'appui de la population à une question
identique avait culminé à 46,1 %, d'après
les sondages de la firme Léger Marketing. Le résultat
final devait donner 49,4 % de votes au OUI.
L'impact des jeunes
Les deux chercheurs ont présenté les principaux
résultats de leur étude le mercredi 26 octobre,
dans une salle du pavillon Charles-De Koninck. Gilles Gagné
et Simon Langlois ont étudié une quarantaine de
sondages réalisés sur l'appui à la souveraineté
depuis 1995. Selon eux, la hausse de l'appui au OUI s'explique
largement par un effet de générations (voir tableau).
D'une part, le Québec compte actuellement 912 000 nouveaux
jeunes électeurs âgés entre 18 et 24 ans
auxquels il faut ajouter les immigrants installés au Québec
depuis 1995. En 2005, 67 % des 18-24 ans accordent un appui ferme
au projet souverainiste. Il s'agit d'une augmentation d'environ
6 % sur les électeurs de la même tranche d'âge
de 1995. Soulignons que le nombre de nouveaux jeunes électeurs
devrait augmenter d'un demi-million d'ici 2010. D'autre part,
les électeurs souverainistes qui avaient entre 55 et 64
ans en 1995, et qui font maintenant partie des aînés,
sont demeurés en général fidèles
aux thèses du camp du OUI. Ils sont donc venus augmenter
la représentation du OUI parmi les électeurs âgés,
d'autant plus que bon nombre des électeurs âgés
de 1995, lesquels s'étaient prononcés en faveur
du NON à deux contre un, sont décédés
depuis. En dix ans, les aînés pour le OUI sont donc
passés de 32,6 % à 40 % dans leur catégorie.
"L'augmentation de l'appui des personnes âgées
à la souveraineté ne peut s'expliquer que par l'arrivée
de nouvelles cohortes, a indiqué Simon Langlois. Notre
analyse par générations montre que le diagnostic
qui prévalait notamment chez les sociologues canadiens
anglais ne tient pas la route. Ce diagnostic voulait que l'appui
à la souveraineté soit un phénomène
d'âge qui va passer avec le vieillissement de la population."
Gilles Gagné a rappelé que bon nombre des 55 ans
et plus avaient retiré leur appui au OUI au dernier moment
en 1995. "Pour faire écho à l'incorrectitude
politique de Jacques Parizeau, le soir du référendum,
sur l'argent et le vote ethnique, a-t-il expliqué, je
dirais que le coupable de la défaite du OUI est un groupe
ethnique auquel personne n'avait pensé: le Canada français.
La socialisation politique des plus âgés s'est déroulée
au Canada français compris comme minorité nationale
dans l'État canadien. Le dialogue canadien, le pacte des
deux nations, l'espace politique pancanadien est l'horizon de
la vie politique des plus âgés. A contrario,
ceux et celles dont la vie politique s'est déroulée
dans la société québécoise d'après
la Révolution tranquille apparaissent plus ouverts à
l'idée de la souveraineté du Québec."
Des allophones indépendantistes
L'étude met en lumière un soutien assez significatif
des électeurs allophones à la souveraineté.
Depuis deux ans, les sondages révèlent que 27 %
des allophones âgés de moins de 64 ans et qui travaillent
sont favorables à l'indépendance du Québec.
Une autre surprise est la baisse notable, en dix ans, de l'appui
au OUI chez les 18-54 ans francophones et actifs de la région
de Québec. Il était de 58,8 % en 1995, il est maintenant
de 50 %. Mentionnons qu'au cours de la même période
et pour la même catégorie d'électeurs, une
région comme l'Outaouais est passée de 32,9 % à
45,1 % d'appuis au OUI. Ailleurs au Québec, le soutien,
en 2005, atteint plus de 60 %. Rappelons qu'en 1995, l'appui
de la classe moyenne francophone a représenté les
deux tiers de l'appui total au OUI.
Les deux chercheurs avancent trois explications possibles à
la baisse de l'appui au OUI chez la classe moyenne francophone
de la région de Québec. Depuis une quinzaine d'années,
une bonne partie des jeunes diplômés en début
de carrière ont quitté la région. Les travailleurs
sentiraient moins que les résidents de la région
de Montréal la nécessité pour l'État
de protéger la langue française. Et l'on assisterait
à une relative désorganisation de la classe moyenne,
un phénomène qui entraîne la précarité
de l'emploi chez bien des travailleurs.
Le texte intégral de l'étude des professeurs Gagné
et Langlois est disponible à l'adresse suivante: www.inm.qc.ca,
sous le titre: "Étude inédite: l'appui à
la souveraineté selon les générations".

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