
La métamorphose tranquille
Le Québec change, tout en demeurant
une société complexe, paradoxale et déroutante
À maints égards, le Québec se métamorphose.
Et il le fait de façon sereine, paisible et originale.
Les mutations majeures qu'a connues la société
québécoise sur les plans social, démographique,
politique, religieux et culturel font que les concepts et métaphores
qui ont servi, dans le passé, à la décrire,
par exemple "nation tricotée serrée"
ou "prégnance de l'église catholique",
ne sont plus d'actualité. Dans le même ordre d'idée,
l'image traditionnelle d'un Québec petit, fragile et isolé
n'a désormais plus cours. Par ailleurs, la Belle Province
négocie de manière novatrice, pragmatique et lucide
les nombreux défis qu'elle a en commun avec les sociétés
occidentales, notamment l'accueil et l'intégration des
immigrants. Mais au-delà de toutes ces considérations,
le Québec demeure une société complexe,
paradoxale et déroutante.
Ces constatations sont tirées du texte de présentation
du plus récent numéro de Cités, une
revue savante éditée aux Presses universitaires
de France. Les 276 pages de l'ouvrage sont consacrées
à une thématique unique sous le titre général
de: "Le Québec, une autre Amérique. Dynamismes
d'une identité". Le corps du volume comprend 12 essais
écrits par autant de penseurs québécois.
Quatre d'entre eux sont des chercheurs de l'Université
Laval, notamment Jocelyn Létourneau, professeur au Département
d'histoire et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en
histoire et économie politique du Québec contemporain.
Ce dernier est par ailleurs le coauteur, avec Sabine Choquet,
étudiante au doctorat en philosophie à Laval, du
texte de présentation.
Un ennui mortifère
L'essai de Jocelyn Létourneau s'intitule: Postnationalisme?
Rouvrir la question du Québec. Ce dernier avance que
le temps est peut-être venu de s'interroger sur le devenir
du Québec sous un angle autre que celui du projet indépendantiste.
"Le sempiternel débat entre souverainistes et fédéralistes,
qui recycle un stock de mythistoires et d'argumentaires ayant
peu évolué depuis 40 ans, ne mobilise plus comme
auparavant ceux et celles qu'il devrait intéresser ou
impulser", écrit-il. Selon lui, le débat politique
actuel est "d'un ennui mortifère" et se caractérise
par un manque d'imagination "de plus en plus désolant".
Il souligne que la question du Québec, posée en
dehors du paradigme nationalitaire, n'a fait l'objet d'aucun
ouvrage marquant depuis plusieurs années. C'est que la
quête d'affirmation des Québécois a évolué.
"Cette quête, explique Jocelyn Létourneau,
est de moins en moins liée à un sentiment d'oppression
ou d'aliénation nationale. Elle ne s'enracine plus non
plus dans une impression de retard. Elle découle plutôt
du constat qu'il est difficile de gouverner convenablement une
province dans le cadre de la pratique actuelle du fédéralisme."
Dans son texte sur l'intégration des immigrants, Jocelyn
Maclure, professeur à la Faculté de philosophie,
souligne le succès du concept d'accommodement raisonnable
de la diversité culturelle tel qu'appliqué au Québec.
Cela dit, le Québec n'est pas devenu "un paradis
cosmopolite où règne l'harmonie et le métissage
généralisé". Il reste que la société
québécoise a développé, dans une
période relativement courte, "un cadre d'intégration
civique et de gestion de la diversité culturelle qui favorise
à la fois la cohésion sociale et la stabilité
politique".
L'essai de Ghislain Otis, professeur à la Faculté
de droit, met l'accent sur l'évolution constitutionnelle
de la relation entre le Québec et les peuples autochtones.
Selon lui, des mutations profondes ont marqué cette relation
depuis une quarantaine d'années. "Notre rapport aux
premiers peuples, écrit-il, a évolué au
point de nous faire passer d'une relation typiquement coloniale
à une dynamique constitutionnelle d'interdépendance
qui sera peut-être elle-même le prélude d'un
mouvement, dans les prochaines décennies, vers une constitution
de type postcolonial, c'est-à-dire fondée sur le
principe d'égale dignité des nations." Selon
lui, l'entente de principe intervenue en 2004 entre certaines
communautés innues, d'une part, et le Québec et
le Canada, d'autre part, va dans ce sens.
Deux trames narratives
Quelles images du Québec le cinéma québécois
véhicule-t-il? Comment la question identitaire est-elle
posée ou s'exprime-t-elle? En réponse à
ces questions, Christian Poirier, chargé de cours au Département
de science politique, explique dans son essai que deux trames
narratives, la tragédie et l'émancipation, parcourent
la cinématographie québécoise depuis les
années 1960. "Notre corpus filmique, écrit-il,
comprend deux récits identitaires principaux, soit un
récit de l'"empêchement d'être"
et un récit de l'"enchantement d'être"."
Le premier, tragique, est un récit du manque et du vide
"où l'essence identitaire est recherchée par
une fermeture à la question ouverte posée par l'identité".
Entre la mer et l'eau douce (1967), La femme de l'hôtel
(1984) et Eldorado (1995) en sont des exemples. Le second,
"sorte de récit de l'accomplissement et de l'ambivalence
positivement assumée", montre une image plus diversifiée
de l'identité. Cette image intègre de nombreuses
références et représente le passé
de manière plus positive. La vie heureuse de Léopold
Z (1965), Les beaux souvenirs (1982) et Le confessionnal
(1995) en témoignent. Selon Christian Poirier, le
second récit a gagné en importance sur le récit
mélancolique, ces dernières années, mais
sans le remplacer ni le marginaliser. "Il semble, en fait,
que la richesse et l'originalité du cinéma québécois
tiennent précisément à la tension qui existe
entre ces deux trames narratives", indique-t-il.

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