
L'histoire comme opium
L'étudiant au doctorat Carl Déry
s'est fait les dents sur le conflit sino-anglais de 1840 à
1842
Lors de la période de questions de ce premier colloque
qui portait exclusivement sur la Chine à l'Université
Laval, les participants ont eu droit à toute une surprise
en voyant un étudiant se lever et se mettre à converser
en chinois avec l'un des conférenciers provenant de Chine,
comme s'il s'agissait là de la chose la plus naturelle
du monde. Et pour cause: Carl Déry s'est mis à
l'étude de la langue chinoise alors qu'il étudiait
à la maîtrise en histoire à l'Université
Laval et n'a cessé de se perfectionner depuis. Son premier
contact avec le chinois s'est effectué à l'École
de langues. Muni de cette base solide, le jeune homme s'est envolé
pour la Chine, à l'Université de Chongqing, où
il a séjourné deux ans.
"Je suis tombé en amour avec la Chine en arrivant
là-bas, dit Carl Déry qui y a d'ailleurs rencontré
la femme de sa vie. Je me sens chez moi dans ce pays. C'est un
sentiment qui ne s'explique pas." Quand on demande au jeune
historien de parler de ce qui a déclenché cette
attirance, la réponse ne fuse pas instantanément.
"Je faisais mon baccalauréat en histoire, et j'avais
remarqué qu'il n'y avait presque rien sur la Chine, dit-il.
Je me suis mis à lire et à me documenter. C'est
tout." De fil en aiguille, Carl Déry entreprend un
mémoire de maîtrise sur les relations entre la Chine
et l'Angleterre aux 18e et 19e siècles. Il y aborde entre
autres la question du rôle des facteurs politiques dans
le déclenchement du conflit sino-anglais de 1840-1842,
mieux connu sous le nom de guerre de l'Opium.
Le feu aux poudres
"On s'entend généralement pour dire que
l'Angleterre aurait déclenché le conflit afin de
promouvoir la liberté commerciale en Chine, très
fermée à l'époque, et surtout, afin de pouvoir
continuer à y vendre de l'opium, explique Carl Déry.
Finalement, on en revient à cette idée incontournable
de l'appât du gain des impérialistes occidentaux
comme facteur dominant ayant mené à la guerre."
Tout n'est pas faux, mais la réalité est plus complexe.
En 1839, alors que l'opium tue à petit feu la population
attirée par la "fée brune", le commissaire
impérial Lin Zixu décide de fermer le port de Canton,
le seul accessible au commerce étranger, mettant du coup
le feu aux poudres. Pire, il fait saisir, sur un bateau anglais,
20 000 caisses d'opium et les détruit sans autre forme
de procès. Outrés, les Anglais déclarent
que le geste est une insulte à l'endroit de la Couronne
britannique. La première guerre de l'Opium vient de débuter.
S'ensuivra l'ère des concessions, soit la création
d'enclaves étrangères en terre chinoise. Pour pénétrer
plus avant dans le pays et poursuivre le commerce en Chine, les
Anglais et les Français trouveront un autre prétexte,
ce qui donnera lieu à la deuxième guerre de l'Opium.
"Entre la Chine et l'Angleterre de 1840, raconte Carl Déry,
il y a eu un choc culturel phénoménal, lié
à des systèmes économiques mais surtout
politiques bien distincts qui répondaient à des
considérations pratiques immédiates, et non à
des traditions millénaires complètement opposées
l'une de l'autre, comme on l'a longtemps cru et enseigné."
En attendant de repartir pour le Céleste Empire d'ici
deux ou trois ans, le jeune homme tâche de ne pas y perdre
son chinois tout en poursuivant des études de doctorat.
"Pour apprendre le chinois, il ne faut pas essayer de comprendre",
se plaît-il à dire. Chose certaine, l'histoire de
la Chine continue d'être l'opium de Carl Déry.

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