
Chocs et dialogues des civilisations
Un colloque international sur la Chine, organisé par
le Département d'histoire, jette un peu de lumière
sur ce géant en émergence
Napoléon Bonaparte a vu juste lorsqu'il déclaré
un jour: "Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera".
De fait, avec ses 1,3 milliard d'habitants, la Chine connaît
depuis une vingtaine d'années une croissance économique
et commerciale spectaculaire. Responsable de plus de 6 % des
exportations manufacturières dans le monde, le pays s'inscrit
au troisième rang mondial pour les sommes dépensées
en recherche, science et technologie. Comptant parmi les plus
importants partenaires commerciaux de ce nouveau géant,
le Québec et le Canada ont tout intérêt à
mieux connaître tout ce qui touche de près ou de
loin à la Chine.
C'est dans cet esprit que s'est tenu un colloque international
ayant pour thème "Entre la Chine et l'Occident. Chocs
et dialogues des civilisations", le 21 octobre, au pavillon
Palasis-Prince. Organisé par Shenwen Li, professeur au
Département d'histoire, ce colloque a réuni une
centaine de personnes dont la majorité étaient
étudiants et étudiantes en relations internationales.
Les conférencières et conférenciers, eux,
venaient de France, de Chine, du Québec et du Canada.
L'un des faits saillants de la rencontre a été
que, pour les étrangers, il n'a jamais été
facile de pénétrer l'Empire du Milieu, en somme
de forcer les portes de ce pays jadis résolument tourné
vers lui-même.
Des échanges conflictuels
Professeur au Département d'histoire à l'Université
d'Ottawa, Jean-Guy Daigle a souligné que, vers 1900, il
y a donc plus de 100 ans, les rapports entre la population chinoise
et les représentants des nations occidentales en Chine
étaient marqués par de multiples difficultés,
rendant les échanges tantôt ambigus tantôt
conflictuels. On trouve des traces de ces différends dans
l'abondante documentation laissée par les marchands, les
consuls et les missionnaires ayant séjourné en
Chine à cette époque.
Affichant une aversion instinctive pour les machines, les Chinois
résistent ainsi à l'implantation des filatures
de vêtements sur leur territoire, donnant des sueurs froides
aux marchands étrangers qui veulent percer le marché.
Du côté des échanges diplomatiques, les rapports
donnent dans le superficiel, les consuls venus d'ailleurs se
heurtant plus souvent qu'autrement à des visages fermés.
Mais c'est en matière de religion que les Chinois se montrent
le plus réfractaires, les missionnaires incarnant à
leurs yeux la présence dérangeante par excellence,
celle qui tente de les éloigner du culte des ancêtres
en essayant de les convertir au christianisme, eux les illustres
sujets du Fils du Ciel. Ce qui n'empêchera pas la centaine
de missionnaires jésuites québécois qui
seront envoyés en Chine entre 1920 et 1955 de parvenir
à développer des liens avec les Chinois et de contribuer
à une meilleure compréhension entre les deux peuples,
a souligné Shenwen Li.
Autre exemple de percée timide du Québec en Chine:
la littérature québécoise, à laquelle
une partie des universitaires chinois commence à s'intéresser,
a révélé Min Su, chargée de cours
au Département de langues, linguistique et traduction.
Toutefois, la littérature québécoise y demeure
peu connue et est encore considérée comme un prolongement
de la littérature française. Si les Yves Beauchemin,
Gabrielle Roy, Anne Hébert et Félix Leclerc figurent
parmi les auteurs traduits, c'est la littérature jeunesse
qui a la cote en Chine. Les romans publiés par La Courte
Échelle que signent Ginette Anfousse et Gilles Gauthier
s'y vendent en effet très bien.
Histoire de thé
Connaissez-vous l'histoire du thé? Katie Boulet, du
Département d'histoire, a relaté un événement
qui allait changer le cours de la boisson la plus populaire au
monde, soit l'extraordinaire expédition du botaniste écossais
Robert Fortune en Chine au milieu du 19e siècle. But de
l'opération: découvrir les secrets de la fabrication
et de la culture du thé dont la Chine détient le
monopole commercial à l'époque. Mandaté
par le Comité du thé en Inde pour aller espionner
les Chinois, Robert Fortune réussira avec brio sa mission,
ramenant en Angleterre des milliers de plants de thé,
avec le résultat que la Chine perdra peu à peu
l'exclusivité de ce marché.
Dans un registre plus léger, Zhi'an Li, doyen de la Faculté
d'histoire de l'Université Nankaï en Chine, a relancé
une question qui divise chercheurs occidentaux et historiens
chinois: Marco Polo (1254-1324) est-il oui ou non allé
en Chine? Les descriptions exotiques que le célèbre
voyageur vénitien a faites dans le Livre des merveilles
du monde, au retour de son séjour en Chine, sont-elles
le fruit de son imagination ou pure réalité? Pour
Zhi'an Li, il est clair que Marco Polo a non seulement vécu
en Chine, mais qu'il a aussi occupé des fonctions importantes
auprès de l'empereur mongol Kubilaï Khan, petit-fils
de Genghis Khan. Le fait que Marco Polo ne dise pas un mot sur
les idéogrammes chinois ou sur les us et coutumes à
table, notamment l'utilisation des baguettes, n'y change rien.
La question continue de susciter la controverse.
Pensée et sagesse
En Chine, c'est toujours la philosophie du monde occidental
qui sert de modèle de référence, a révélé
Anna Ghiglione, professeure au Département de philosophie
de l'Université de Montréal. En clair, on enseigne
Platon et Socrate dans les écoles, mais pas le philosophe
Confucius, dont les enseignements et les idées ont pourtant
influencé toute la civilisation chinoise. Toute se passe
comme si les Occidentaux avaient en quelque sorte "colonisé"
la pensée traditionnelle chinoise, estime Anna Ghiglione.
Ce n'est pas mieux en Occident où, pour parler de philosophie
chinoise, on emploie les termes de "pensée"
et de "sagesse". Si ces deux vocables ne sont pas contestables
en soi, ils laissent sous-entendre que la pensée chinoise
est inaboutie au plan de l'élaboration intellectuelle,
ce qui n'est pas le cas, a indiqué Anna Ghiglione. En
revanche, les philosophies dites orientales n'ont jamais été
aussi populaires auprès de millions de personnes qui cherchent
un sens à leur vie.

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