Le livre se livre
Les bouquins fusionnels de Louise Paillé
à la Galerie des arts visuels
Il y a quelques siècles, Louise Paillé aurait
peut-être transcrit des récits et enluminé
des manuscrits dans un couvent, penchée sur une écritoire.
Son travail autour du livre rappelle en effet la patience déployée
par les moines copistes lorsqu'elle prend le temps de copier
ligne après ligne des textes d'auteurs pour créer
un nouveau type d'oeuvre littéraire. Ses livres-livres,
comme elle les appelle, sont la fusion de plusieurs textes. Un
livre d'occasion sert ainsi de support à un texte intégral,
retranscrit à la main, en lien ou non avec le récit
sur lequel il s'appuie. L'artiste prend ensuite la liberté
d'adopter une typographie de son cru, de former des dessins à
partir des lignes retranscrites, de teindre les pages du livre
pour créer un objet hybride, ni tout à fait texte
à lire ni tout à fait seulement uvre à caresser
des yeux.
"Selon moi, un livre publié contient déjà
de nombreux livres puisque l'écrivain en a lu plusieurs
et que le lecteur se l'approprie pour créer sa propre
histoire, explique Louise Paillé, diplômée
en histoire de l'art de l'Université Laval. J'ai donc
voulu créer un espace traduisant cette perpétuelle
transformation du livre." À l'intérieur de
la salle d'exposition, plusieurs installations laissent voir
ses rapprochements littéraires. Un grand livre de médecine
médiéval trône par exemple sur une large
surface où sont reproduites plusieurs pages imprimées.
Au milieu de la description savante du corps humain ou des illustrations,
s'intercale la retranscription de L'oeuvre au noir de
Marguerite Yourcenar, qui traite justement d'un alchimiste au
Moyen-ge. Un peu plus loin, l'artiste présente sur une
écritoire un livre relié sur l'histoire de la paroisse
de Notre-Dame-du-Mont-Carmel où elle demeure, livre sur
lequel elle a retranscrit des romans de Réjean Ducharme.
"J'aimais le rapport d'opposition entre ces deux types d'ouvrage,
raconte-t-elle. Ducharme insiste beaucoup sur le côté
sombre de la vie dans les petites municipalités au Québec,
tandis que l'autre livre présente toujours les gens sous
leur jour le plus favorable."
Au-delà de ces considérations littéraires,
les oeuvres de Louise Paillé invitent surtout les visiteurs
à considérer les livres-livres comme des objets
dont on peut apprécier les couleurs et la disposition
dans l'espace. Même si elle met un soin jaloux à
tout retranscrire, il est difficile, voire impossible, en effet,
de lire le récit copié. Un peu comme si l'artiste
voulait souligner que chaque histoire lue devient la propriété
de celui ou de celle qui la déchiffre. "En 1992,
lorsque j'ai commencé ce genre ce travail, j'étais
partagée entre la littérature et les arts visuels",
raconte Louise Paillé. Au fil du temps, elle a choisi
de moins s'intéresser à la lisibilité du
texte pour avoir la liberté de créer davantage.
Au bas d'un mur, une collection de livres ouverts expose des
pages violemment colorées. À quelques pas de là,
des textes retranscrits à l'encre rouge dans une autre
série d'ouvrages de même format finissent par former
une ligne continue. Le livre prend un nouvel envol pour devenir
une uvre d'imagination à part entière.
La Galerie des arts visuels de l'édifice La Fabrique est
ouverte du mercredi au vendredi de 11 h 30 à 16 h 30 et
le samedi et le dimanche de 13 h à 17 h. L'exposition
a lieu jusqu'au 6 novembre.
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