Le courrier
Race de monde
Les propos tenus par le Dr Mailloux sur les ondes de Radio-Canada
ont semé la zizanie. Si les déclarations pseudo-scientifiques
du psychiatre nous ont choquées, certains arguments et
mots utilisés dans les débats ont fait "ciller"
nos petites oreilles d'anthropologues. Dans les médias,
comme au bureau ou au café du coin, les réactions
étaient nombreuses et diverses. Cependant, du détracteur
à l'acolyte, il y a un point commun: l'utilisation abusive
et inappropriée du concept de "race". Un peu
comme la notion de "liberté d'expression",
à force de l'utiliser à tort et à travers,
on ne sait plus de quoi on parle.
Le concept de race prend son essor au XIXe siècle. C'est
l'époque où les scientifiques tentent de projeter
sur les groupes humains des classifications nominales selon des
caractéristiques biologiques et héréditaires.
Le XIXe siècle, c'est également l'époque
du colonialisme et de nombreuses pratiques racistes: évangélisation,
oppression, exploitation et exclusion des populations soit disant
"arriérées". Si nous savons maintenant
que le système colonialiste tirait ses sources des préjugés
raciaux liés à une supposée sélection
naturelle chez l'humain, nous nous surprenons toujours de voir
la persistance de l'utilisation des ces idées aujourd'hui.
Cette persistance est rendue possible justement par ce petit
mot de quatre lettres, ce volcan qui dort, toujours prêt
à se réveiller: "race".
Pourtant, les races n'existent pas. Il n'y a qu'une seule espèce,
l'espèce humaine. Les "rouges", les "jaunes",
les "blancs" et les "noirs" ne sont que le
fruit de notre imagination. La couleur de la peau, bien qu'il
s'agisse d'une distinction apparente, ne suffit pas à
diviser les groupes humains en différentes races. Lorsqu'on
s'y attarde un peu, on s'aperçoit que ce caractère
se révèle, chez les individus, de manière
très variée: teint pâle; teint basané;
teint noir, noir foncé, noir pâle Et que dire de
Michael Jackson, aurait-il changé de "race"?
Nous percevons réellement ces distinctions de pigmentation
de la peau, des cheveux et des yeux, mais nous pouvons tout aussi
bien percevoir des grandes et des petites tailles, des nez pointus
et des nez crochus. Avons-nous pour autant la race des grandes
oreilles? Et que dire des joufflus? Il y a tellement de variations
biologiques entre les individus que si l'on voulait les classifier
par "races", il faudrait créer 6,5 milliards
de races humaines, c'est-à-dire le nombre total d'habitants
sur la terre.
Utiliser le mot race, c'est dire qu'il existe des différences
biologiques entre les groupes humains. Or, les seules frontières
qui séparent réellement les populations sont des
frontières sociales: Eux et Nous. En somme, se référer
au concept de race pour lutter contre le racisme, c'est un peu
comme essayer d'éteindre un feu avec du bois: ce dernier
ne constitue pas la solution, mais plutôt la source du
problème! En ce sens, disait Albert Camus, "mal nommer
les choses, c'est ajouter du malheur au monde"
CATHERINE LEVASSEUR et JULIE MARESCHAL
Anthropologues diplômées de l'Université
Laval
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