
Sorties de placard
En cinq ans, le programme "Vincent
et moi", a permis à près de 40 artistes de
prendre leur envol
L'exposition annuelle "Vincent et moi" affiche
un lustre particulier cette année. Présentée
dans la salle Marie-Renouard du Centre hospitalier Robert-Giffard,
elle souligne avec éclat les cinq ans d'existence de ce
programme original, destiné à des personnes recevant
des soins psychiatriques au Centre hospitalier Robert-Giffard
ou dans la communauté, à travers les oeuvres d'une
vingtaine d'exposants. Très fier du travail accompli par
les artistes qu'il accompagne, le responsable du programme, François
Bertrand, souhaite que leurs productions rayonnent encore davantage.
"Je rêve d'aller chercher des mécènes,
de gros commanditaires afin d'avoir vraiment les moyens de nos
ambitions, s'enthousiasme-t-il. Au début, notre collection
d'oeuvres d'artistes du programme, qui compte aujourd'hui quelque
200 pièces, circulait surtout à l'intérieur
de l'hôpital. Des gens de l'Université Laval, du
Théâtre de la Bordée les empruntent aussi
maintenant. Ces institutions accueillent aussi fréquemment
nos expositions, mais il faut s'ancrer encore davantage dans
la communauté." Déjà l'Université
Laval permet chaque année à des artistes de "Vincent
et moi" de bénéficier des équipements
de l'École des arts visuels et du savoir-faire de ses
étudiants à travers un projet intitulé "L'art
sans frontières", mais la collaboration pourrait
se renforcer encore dans les années à venir.
En accompagnant les artistes dans leur création, François
Bertrand a eu tout le loisir d'observer l'effet parfois spectaculaire
du programme sur leur vie. "Je me souviens de Linda Dumont,
très agoraphobe, qui pensait même apporter des cônes
orange pour empêcher les gens de la frôler durant
son premier vernissage. Quelques années plus tard, elle
est devenue porte-parole de l'exposition annuelle. Pour beaucoup
d'artistes, exposer leurs oeuvres ressemble à une sortie
du placard. Tout à coup, ils retrouvent une dignité
perdue et deviennent de véritables personnes et non plus
seulement des malades mentaux." Une des toiles réalisées
par Mireille Bourque, la porte-parole des artistes pour cette
exposition annuelle, illustre d'ailleurs cette soif de reconnaissance.
Son collage, constitué d'objets du quotidien comme des
tickets de théâtre, d'autobus, des factures, s'intitule
ironiquement Timbrés et affranchis. "Je vous
défie de trouver parmi les personnages sur ce tableau
lequel sort de Robert-Giffard, lance-t-elle. Je voulais montrer
que nous retrouvons maintenant notre place de citoyen en vivant
très souvent au sein de la communauté. Aujourd'hui,
j'ose davantage sur mes toiles, ce qui m'amène aussi à
m'affirmer comme personne différente dans la société."
L'art et la cité
La question de l'intégration des artistes et de l'art
dans la vie préoccupe beaucoup John R. Porter, directeur
général du Musée national des beaux-arts
du Québec et président d'honneur de cette exposition.
D'autant plus peut-être que le musée qu'il dirige
vient d'organiser une exposition très courue des oeuvres
de Camille Claudel dont la vie s'est terminée dans un
asile psychiatrique. "Cette artiste a réussi à
transcender sa maladie mentale pour aller au-delà d'elle
même, rappelle l'historien de l'art. L'art, c'est vraiment
un miroir, un exutoire, une façon de communiquer et je
pense que c'est encore plus vrai pour les personnes qui ont des
problèmes mentaux."
Aux yeux de ses responsables, "Vincent et moi" ne se
définit pas comme de l'art-thérapie ou simplement
une occupation de loisir, il faut que les participants soient
vraiment dans un processus créatif pour y participer.
Diane Bellefeuille, par exemple, qui a produit des toiles figuratives
en noir et blanc pour cette exposition, a dû attendre de
faire ses preuves pour accéder au programme. Manifestement
les efforts que les artistes investissent dans leurs toiles en
valent la chandelle, à contempler le visage ravi de Denyse
Toussaint devant son très coloré tableau intitulé
Inquiétudes et festivités. Tout sourire,
elle reconnaît volontiers que les compliments que le public
lui adresse la remplissent de fierté et la valorisent.
L'exposition "Vincent et moi", jusqu'au 2 octobre,
à la salle Marie-Renouard du Centre hospitalier Robert-Giffard,
2601 de la Canardière, à Beauport, de 12 h à
17 h du lundi au jeudi et de 13 h à 20 h du vendredi au
dimanche.

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