Courbes dangereuses
La dispute opposant les scientifiques et
les fabricants d'implants mammaires a entravé la mise
au point de produits sécuritaires
Au cours des 20 dernières années, les querelles
entre les fabricants de prothèses mammaires et les chercheurs
préoccupés par la santé des femmes ont retardé
la mise au point d'implants fiables et sécuritaires, soutient
le spécialiste des biomatériaux Robert Guidoin.
"Les autres domaines de l'implantologie ont connu des progrès
spectaculaires depuis deux décennies, mais du côté
des implants mammaires, nous ne sommes guère plus avancés
qu'en 1980", avance le professeur de la Faculté de
médecine, qui prépare un livre sur la question.
Les travaux de Robert Guidoin font partie des éléments
qui ont mis le feu aux poudres. Son équipe a démontré
que les prothèses au gel de silicone Meme, implantées
chez 12 000 Canadiennes, peuvent se désagréger,
se mêler aux tissus, et libérer un produit potentiellement
cancérigène dans l'organisme humain. La controverse
a amené le fabricant de cette prothèse, Bristol-Myers
Squibb, à retirer son produit du marché en 1991.
De son côté, le gouvernement canadien a imposé
un moratoire sur l'utilisation des prothèses au gel de
silicone. Toutefois, depuis le printemps dernier, un comité
fédéral étudie la pertinence d'autoriser
une version améliorée de ces implants.
Au moment où ces discussions ont cours, Robert Guidoin
revient à la charge. Dans un récent numéro
du Journal of Materials Science: Materials in Medicine,
il publie avec ses collègues Marie-France Guidoin et Ze
Zhang, et un groupe de chercheurs français et bulgares,
des données montrant que 18 implants mammaires de différents
types, prélevés chez 9 patientes, présentent
tous un même problème après 20 ans d'usage.
Le silicone s'échappe de l'implant et s'infiltre dans
les tissus et à l'intérieur des cellules de la
patiente; s'ensuivent une nécrose et une minéralisation.
"La formation de tissu fibreux et la minéralisation
de l'implant semblent des réactions inévitables
de l'organisme en présence de ce corps étranger,
analyse Robert Guidoin. Les nouveaux modèles d'implants
provoquent peut-être moins de minéralisation, mais
il est improbable qu'ils puissent l'éliminer complètement."
Les fabricants de prothèses mammaires affirment le contraire,
mais le professeur Guidoin peut difficilement en juger puisque
les améliorations apportées au produit constituent
des secrets industriels.
Garder la tête froide
Par ailleurs, la durée de vie des implants devrait
idéalement dépasser le nombre d'années qui
reste à la vie des patientes. Dans les faits, il semble
que l'on soit loin de cet objectif, à plus forte raison
depuis que les jeunes femmes recourent à cette chirurgie.
Au moment où plus de femmes que jamais passent sous le
bistouri pour une augmentation mammaire, il vaudrait la peine
d'évaluer les risques qu'elles courent réellement,
plaide le chercheur. Malheureusement, la collaboration avec les
fabricants semble difficile. "Un scientifique qui ose soulever
des doutes sur les implants est traité de bigot et ses
travaux sont considérés comme de la mauvaise science",
déplore Robert Guidoin, qui a goûté à
cette médecine.
Le chercheur souligne qu'il est difficile de garder la tête
froide dans un dossier qui comporte une telle charge émotive.
Les patientes sont fières de leur nouvelle poitrine, les
fabricants d'implants et les plasticiens y trouvent leur profit,
de sorte que les chercheurs qui arrivent avec de mauvaises nouvelles
ne sont pas bien accueillis, constate-t-il. "Je ne suis
pas contre les implants mammaires, insiste le chercheur, mais
il faudrait s'assurer que ces produits sont sécuritaires.
Présentement, on ne le sait pas parce qu'il n'y a pas
eu d'études cliniques indépendantes." À
l'invitation de Santé Canada, Robert Guidoin se rendra
à Ottawa à la fin septembre pour exposer son point
de vue. "Je vais présenter des données inédites
qui risquent de faire beaucoup de bruit", promet-il.
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