Pouvoir intime
Pour des femmes immigrantes ayant vécu
la guerre, parler peut donner une nouvelle vie
Avant la guerre, leur vie était douce, belle et tranquille.
Du jour au lendemain, tout a basculé. Venues s'établir
au Québec, elles tentent tant bien que mal de reprendre
leur existence en main. S'il leur est difficile de parler de
ce qu'elles ont vécu, prendre la parole illustre cependant
leur profond désir de reprendre du pouvoir sur leur vie.
C'est l'une des conclusions à laquelle en est venue Marie-Ève
Charté, au terme de son mémoire en service social
portant sur la trajectoire de femmes immigrantes ayant vécu
dans un contexte de guerre ou de terrorisme. Pour les fins de
sa recherche, Marie-Ève Chartré a interviewé
neuf femmes dont trois provenaient d'Afrique, cinq d'Amérique
latine et une du continent européen. Adressées
par des intervenants des milieux communautaire, public et privé,
ces femmes étaient invitées à parler des
étapes marquantes de leur vie, avant, pendant et après
le conflit.
"Peu importe leur pays d'origine ou le contexte particulier
du conflit armé, la trajectoire des femmes se ressemble,
explique Marie-Ève Charté. Elles font une description
très positive de leur vie avant que le conflit n'éclate.
Cette tendance à l'idéalisation est suivie d'une
période de négation lorsque la guerre survient.
Du jour au lendemain, elles ont l'impression que tout bascule."
Mères avant tout
Alors que les hommes sont directement impliqués dans
les conflits armés, les femmes, elles, voient leurs tâches
quotidiennes s'intensifier et doivent s'organiser pour faire
vivre la famille avec très peu de ressources. Pour passer
à travers l'horreur du quotidien, les femmes vont s'accrocher
à Dieu, mettre sur pied des groupes d'entraide et se consacrer
à des tâches humanitaires. Le rôle de soutien
et de maintien des relations qu'elles jouent traditionnellement
dans les sociétés patriarcales se trouvera donc
renforcé. "La place des enfants dans la vie de ces
femmes est centrale, souligne Marie-Ève Chartré.
On sent dans leurs propos qu'elles n'auraient pas survécu
ou encore qu'elles seraient restées dans la zone de conflit
si ce n'avait été de leurs enfants.
Une fois arrivées au Québec, après un long
et difficile processus d'immigration, les femmes n'ont pas la
vie facile. Après avoir vécu l'oppression économique,
ethnique et sexuelle dans leur pays, elles font ainsi face à
l'isolement, baignant dans une culture étrangère.
Espérant le meilleur pour elles et leurs enfants, elles
souhaitent seulement vivre en paix, résignées en
quelque sorte à être heureuses. "La force intérieure
de ces femmes est incroyable", révèle Marie-Ève
Chartré qui affirme avoir beaucoup appris en rencontrant
ses interlocutrices venues d'ailleurs. "Avec le recul que
m'a donné l'expérience, je peux comprendre qu'une
femme qui a vécu l'horreur et la violence et qui a dû
s'exiler pour survivre n'ait pas envie de s'intégrer tout
de suite dans son pays d'accueil ou d'en apprendre la langue.
Je peux comprendre qu'elle ait envie de côtoyer des gens
de sa communauté, qu'elle prenne le temps de vivre et
de s'adapter."
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