On n'est pas sortis du bois
Le film L'Erreur boréale a secoué
l'opinion publique, mais le débat reste entier
Avez-vous vu L'Erreur boréale? Réalisé
par Richard Desjardins et Robert Monderie, ce film a eu l'effet
d'une bombe lors de sa sortie en 1999, suscitant une véritable
controverse publique. On y voit la forêt québécoise
dévastée par des coupes sauvages, livrée
à une industrie en quête effrénée
de profits pour laquelle le respect et la protection de l'environnement
semblent être le dernier des soucis. En réponse
à cette dénonciation, l'industrie et le gouvernement
ont rétorqué à l'époque que la gestion
forestière était légiférée
et normée, qu'ils maîtrisaient la situation et qu'il
n'y avait pas lieu de s'inquiéter. En somme, alors que
Desjardins et Monderie remettaient en question l'idéologie
même du régime forestier en vigueur au Québec,
l'industrie et le gouvernement détournaient le sujet vers
un plan purement technique. Et c'est là où le bât
blesse, selon Benjamin Denis qui s'est penché sur la controverse
publique entourant le film L'Erreur boréale dans
son mémoire de maîtrise en sociologie.
Pour savoir comment les acteurs sociaux ont filtré, reformulé,
récusé les préoccupations de Desjardins
et Monderie ou encore adhéré à celles-ci,
Benjamin Denis a sélectionné et analysé
une trentaine de textes éditoriaux, lettres de lecteurs,
articles et reportages publiés en 1999 dans Le
Devoir, Le Soleil et La Presse. Trois groupes
bien distincts se sont dessinés. En premier lieu, les
"adhérents" qui ont endossé la thèse
alarmiste des cinéastes et affirmé que l'on devait
entreprendre des actions dans les plus brefs délais; ensuite,
les "débatteurs" que le film a interpellés
mais qui ont trouvé que l'état de la forêt
y était dramatisé et, enfin, les "opposants"
qui ont estimé que le documentaire présentait une
fausse image de la réalité forestière.
Les règlements comme boucliers
"Si le film a connu un certain succès dans la
sphère publique, l'accueil a été plus mitigé
dans les sphères scientifiques et médiatiques,
explique Benjamin Denis. Par exemple, les opposants, composés
des principaux gestionnaires forestiers et de quelques experts,
ont refusé en bloc la thèse de L'Erreur boréale.
Pour eux, l'encadrement réglementaire et technique de
la récolte du bois assurait le rendement soutenu, la régénération
du couvert forestier et une gestion démocratique de la
forêt, tout en permettant l'essor économique du
Québec. Que demander de plus?"
Bref, pendant que Desjardins et Monderie insistaient sur la nécessité
pour le Québec de miser sur une gestion dont l'aménagement
se ferait d'abord en fonction de la protection des écosystèmes
et sur un débat public entourant les modes d'utilisation
de la forêt, celle-ci étant un bien public, les
gestionnaires forestiers, eux, rappelaient à la population
que l'existence de règlements, de lois, de normes et de
stratégies constituait une sorte de bouclier protecteur
contre le désastre annoncé dans L'Erreur boréale.
"Cinq ans après la sortie du film, le débat
sur la forêt demeure toujours un domaine réservé
aux experts en la matière, estime Benjamin Denis. Ces
considérations ne signifient cependant pas que le film
L'Erreur boréale a raté sa cible. Il y a
eu une certaine prise de conscience de la part des dirigeants;
on a réduit la quantité de bois coupé. Mais
il reste beaucoup à faire."
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