
Flairer le vent
Aucun gouvernement ne dirige exclusivement par
sondages, mais aucun ne les ignore totalement
Les politiciens sont-ils, comme le veut la croyance populaire,
des girouettes qui orientent le pays dans la direction où
souffle l'opinion publique? Étonnamment non, si on en
juge par les études menées par le professeur François
Pétry, du Département de science politique. Ce
spécialiste de l'analyse des politiques publiques en apporte
une nouvelle preuve dans un récent article qu'il signe,
avec son collègue de l'Université Queen's, Matthew
Mendelsohn, dans le Canadian Journal of Political Science.
Les deux chercheurs ont mis en parallèle les décisions
prises entre 1994 et 2001 par le gouvernement Chrétien
et les positions de la population canadienne sur ces mêmes
sujets, telles que révélées par des sondages
d'opinion publique. Le résultat? Seulement 49 % des décisions
des Libéraux portant sur les 230 enjeux politiques passés
en revue concordaient avec l'opinion de la population canadienne.
Un exercice similaire, mené précédemment
par le professeur Pétry, avait révélé
que les décisions prises par le gouvernement conservateur
de Brian Mulroney entre 1985 et 1993 allaient dans le même
sens que les sondages dans 69 % des cas.
Les chercheurs attribuent la plus faible concordance enregistrée
depuis 1994 à l'écart accentué entre, d'une
part, une opinion publique de plus en plus favorable au changement
et idéologiquement à droite et, d'autre part, la
politique du gouvernement de Jean Chrétien sensiblement
plus résistante au changement et idéologiquement
plus à gauche que son prédécesseur. "Contrairement
au gouvernement Mulroney, le gouvernement Chrétien a évité
les changements en profondeur, une fois l'équilibre budgétaire
atteint. Ses années au pouvoir ont été caractérisées
par une gestion prudente", commentent les auteurs de l'étude.
Leurs données indiquent d'ailleurs que les décisions
des Libéraux concordaient plus souvent avec l'opinion
de la population lorsque celle-ci favorisait le statu quo plutôt
que le changement.
Les deux politicologues n'écartent pas l'idée que
le peu "d'écoute" des Libéraux résulte
de la grande division des forces de l'opposition et de l'absence
d'un autre grand parti national capable de les déloger
du pouvoir entre 1994 et 2001. Ils notent toutefois que, sur
les enjeux importants qui risquaient de leur coûter des
votes aux élections, les Libéraux ont fait preuve
d'une meilleure écoute des volontés du peuple.
Cette capacité d'écoute sélective avait
cruellement fait défaut aux Conservateurs de Brian Mulroney
qui, même s'ils étaient davantage au diapason de
la population, avaient adopté d'importantes mesures impopulaires,
notamment le traité de libre-échange avec les États-Unis
et la taxe sur les produits et services. La population s'était
chargée de leur rappeler son mécontentement aux
élections de 1993 en les chassant du pouvoir et en n'élisant
que deux députés conservateurs dans tout le pays.
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