
Bêtes de sexe
Les femelles homards ont la patte légère
lorsque les gros mâles se font rares
La pêche intensive aurait des répercussions inattendues
et étonnantes sur la vie sexuelle des homards: elle pousserait
les femelles à s'accoupler avec plusieurs mâles!
C'est ce que suggèrent Louis Bernatchez, du Département
de biologie, et ses collègues Thierry Gosselin et Bernard
Sainte-Marie, de Pêches et Océans Canada, après
avoir étudié le taux de paternité multiple
dans les couvées de femelles homards vivant dans trois
secteurs de la côte Est canadienne.
Les analyses génomiques que les chercheurs ont effectuées
sur des oeufs fécondés de homards ont révélé
que le taux de double paternité atteint 11 % aux Îles-de-la-Madeleine
et 22 % à l'île Grand Manan au Nouveau-Brunswick.
De plus, 6 % des femelles de ce dernier secteur auraient batifolé
avec trois mâles. En moyenne, le taux de paternité
multiple se situe à 13 % dans ces sites qui font l'objet
d'une pêche intensive. Par contre, aucun cas de polyandrie
n'a été découvert chez les homards de l'île
d'Anticosti, un secteur où l'intensité de pêche
est faible, signalent les trois biologistes dans un récent
numéro de la revue scientifique Molecular Ecology.
Il existerait peut-être un lien entre la polyandrie des
homards et la rareté des gros mâles dans les populations
exploitées, proposent les chercheurs. Chez le homard,
les mâles s'approprient un territoire avec un abri qu'ils
défendent vaillamment. Les femelles circulent et rivalisent
entre elles pour s'accoupler avec les meilleurs mâles,
notamment ceux qui disposent d'un vaste abri. Une fois installée
dans cette alcôve, la femelle se débarrasse de sa
carapace - elle mue - et elle en profite pour s'accoupler. Le
mâle dépose sa semence dans le réceptacle
séminal de la femelle; celle-ci ne l'utilisera qu'au moment
de la ponte qui survient dix à douze mois après
la mue. Le travail du mâle n'est pas terminé pour
autant: il protège la femelle jusqu'à ce que la
nouvelle carapace de sa compagne soit complètement formée.
La préférence des femelles pour les gros mâles
s'expliquerait par le fait que ceux-ci ont des abris plus spacieux,
qu'ils les protègent mieux et qu'ils produisent plus de
sperme que les petits mâles.
La relative rareté des mâles dominants dans les
secteurs de pêche intensive au homard forcerait peut-être
les femelles à se rabattre sur de plus petits partenaires
qui produisent moins de sperme, croient les chercheurs. "Si
un premier accouplement ne permet pas à la femelle d'accumuler
suffisamment de semence pour féconder tous ses oeufs,
elle pourrait tenter de s'accoupler rapidement avec un autre
mâle", suggèrent-ils.
Cet effet-surprise de l'exploitation du homard est un exemple
de plus qui montre que la chasse ou la pêche aux gros spécimens
perturbe les stratégies reproductrices des espèces,
à plus forte raison lorsque cette pression s'exerce au
détriment d'un sexe, signalent les auteurs de l'étude.
Chez le homard, la saison de pêche coïncide avec la
période d'activité maximale des mâles, ce
qui les rend particulièrement vulnérables aux pièges
que leur tendent les pêcheurs.
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