
Au pays de la religion nationaliste
La rhétorique géopolitique religieuse
américaine a pris son envol après la Seconde Guerre
mondiale
"Si Bush était un vrai chrétien fidèle
à l'esprit du christianisme, s'il s'occupait des pauvres
et s'il ne recourait à la violence qu'à la dernière
extrémité, si en plus il avait étudié
les Saintes Écritures, la présidence se porterait
beaucoup mieux", soutient T. Jeremy Gunn, chercheur senior
en religion et droits de la personne à l'Emory University
School of Law de Washington. Professeur invité du Département
de science politique, ce dernier donne présentement un
séminaire de deuxième et troisième cycles
intitulé "Religion et politique étrangère
des États-Unis". Selon lui, le problème de
George W. Bush ne réside pas dans la sincérité
de sa foi ni dans sa piété, mais bien dans ses
bases théologiques qui sont sommaires. "J'ai des
doutes que Bush soit très religieux, indique T. Jeremy
Gunn. Il met en valeur ce qu'il pense et je crois qu'il est content
du fait que les gens pensent qu'il apparaît plus religieux
qu'il ne l'est en réalité."
Chose certaine, et malgré des formules chocs telles que:
"Si vous n'êtes pas avec nous, vous êtes contre
nous", "L'axe du mal", ou "Nous faisons cela
avec la bénédiction de Dieu", le président
américain est en fait bien différent de la caricature
faisant de lui un fanatique religieux, qui croit que Dieu lui
parle et qui fait de la politique en pensant qu'il peut promouvoir
le retour du Messie. "Une autre perception veut que les
fondamentalistes ou les évangélistes aient une
influence très forte sur Bush, ce qui est faux",
ajoute T. Jeremy Gunn.
De Truman à Bush
Les États-Unis ont été fondés
au 17e siècle par des Quakers, un mouvement religieux
protestant anglais. Aujourd'hui, la population de ce pays est
probablement plus religieuse que toute autre population des pays
développés. Aux USA, les forces armées,
au dire de T. Jeremy Gunn, seraient presque un symbole religieux.
Ce dernier avance même l'idée d'une religion américaine
nationaliste. Cette idéologie remonterait aux années
qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale. "Depuis
cette époque, dit-il, le discours officiel fait un lien
cohérent entre la religion et la politique étrangère."
Le professeur en a pour preuve ce discours prononcé le
3 avril 1951 par le président Harry Truman. Après
avoir actualisé le texte, notamment en remplaçant
le mot "communisme" par "terrorisme", il
l'a soumis à ses étudiants de Laval comme exercice.
Il avait fait la même chose précédemment
avec des amis. Tous sans exception ont cru qu'il s'agissait d'un
discours typique de George W. Bush.
"À l'étranger comme au plan domestique, disait
Harry Truman, notre conduite comme peuple doit être guidée
par des valeurs morales. Présentement, notre nation est
engagée dans un effort considérable visant le maintien
de la justice et de la paix dans le monde." "On imagine
que le démocrate Truman était le contraire de Bush,
explique T. Jeremy Gunn. Pourtant, ses discours sont remarquablement
similaires à ceux de Bush. Il y a donc une continuité
depuis la Seconde Guerre mondiale dans les discours officiels."
Avant la guerre de 1939-1945, les conservateurs protestants appelés
fondamentalistes prônaient la séparation de l'Église
et de l'État. Mais aux lendemains du conflit, cette vision
des choses fut remise en question alors que l'idée d'un
rapprochement entre les deux entités s'est fait jour dans
le contexte de la guerre froide naissante. "Les fondamentalistes
insistaient sur l'importance de comprendre le rôle de l'État
et de la religion dans la société et de faire attention
de ne pas mélanger les deux, indique T. Jeremy Gunn. Pour
Bush, c'est du pareil au même." Les idées-forces
véhiculées entre 1945 et 1955 consistaient à
dire qu'un bon Américain devait croire en Dieu et être
capitaliste, par opposition aux communistes qui ne croyaient
ni en un être supérieur, ni en l'économie
de marché.
"Si le gouvernement faisait preuve d'honnêteté,
une valeur chrétienne, il reconnaîtrait son erreur
d'avoir cru en l'existence d'armes de destruction massive en
Irak et d'avoir envahi ce pays, soutient T. Jeremy Gunn. Il ferait
ensuite son possible pour réparer les torts causés
aux Irakiens."
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