
Le pouvoir gris
L'université peut-elle devenir un lieu
de rapprochement entre les générations?
Que diriez-vous d'une université où jeunes et
aînés assisteraient aux mêmes cours côte
à côte, sans aucune discrimination d'âge?
C'est l'une des idées qui ont été débattues
lors de la 3e édition des Rencontres Champlain-Montaigne
qui a eu lieu les 5 et 6 mai au pavillon Alphonse-Desjardins.
Placé cette année sur le thème "Vieillissement,
santé et société : défis et perspectives",
cet événement d'envergure a été instauré
dans la foulée des relations d'amitié et de coopération
qu'entretiennent les villes de Québec et de Bordeaux depuis
leur jumelage en 1962.
"S'il existe un lieu par excellence pouvant permettre
le rapprochement entre les générations, c'est bien
l'université", a fait valoir Régis Ritz, professeur
émérite à l'Université Bordeaux 3,
lors d'une table ronde portant sur la participation des aînés
à la vie sociale, économique et familiale. D'autres,
comme Jean-Paul Baillargeon, chercheur à l'INRS Urbanisation,
Culture et Société, favoriseraient davantage une
mise en commun des expertises et des savoirs sur certains sujets
ou disciplines, au lieu de cours en bonne et due forme. Mais
une chose est certaine : le temps où les aînés
s'inscrivaient à l'université pour passer le temps
est bel et bien révolu. "À l'Université
du temps libre de Bordeaux, il y a quelques années, les
seniors nous ont dit qu'ils en avaient assez d'entendre
des communications sur la santé de leurs poumons, de leur
cur ou de leur prostate, a souligné avec humour Régis
Ritz. Ils souhaitaient plutôt apprendre d'autres langue,
suivre des cours d'histoire de l'art, voyager, en somme, ils
voulaient tout autre chose que ce que nous leur proposions, dans
une volonté de s'ouvrir au monde". Cela étant
dit, être aîné de nos jours ne signifie plus
la même chose qu'avant, ont convenu les participants. En
effet, l'éventail est large, l'âge des personnes
"aînées" pouvant varier entre 55 à
80 ans.
Nicole B. Madore, 1ère vice-présidente de la
Table de concertation des personnes aînées du Québec,
a affirmé pour sa part qu'il existait une tendance marquée
au Québec à faire "jouer" les aînés,
que ce soit aux cartes, au bingo ou au casino, alors qu'ils pourraient
s'impliquer socialement. Au Québec, 80% du bénévolat
étant réalisé par des personnes de 50 ans
et plus, le bénévolat peut emprunter plusieurs
formes. "Par exemple, a-t-elle indiqué, une personne
peut choisir de siéger au conseil d'administration d'une
caisse populaire ou d'un hôpital, où son expertise
sera grandement appréciée. Les aînés
doivent prendre la place qui leur revient et investir les lieux
de décision et de pouvoir."
Le poids du nombre
Représentant en quelque sorte la jeune génération
de cette table ronde, Vicky Trépanier, avocate, a donné
un son de cloche différent sur la place des aînés
dans notre société. Y-aurait-il danger de "corporatisme"
de la part des baby boomers qui ont mis en place la structure
économique, politique et sociale du Québec telle
qu'on la connaît aujourd'hui? s'est-elle interrogée.
"De la même façon que les baby boomers ont
rompu avec la génération qui les précédait,
une rupture est souhaitable entre les jeunes et moins jeunes,
a indiqué l'avocate. À leur tour, les jeunes doivent
prendre leur place. Pourquoi parle-t-on tellement de l'importance
des soins de santé au Québec, au détriment
d'autres services comme l'éducation? C'est parce que cela
touche les principaux concernés, c'est-à-dire les
baby boomers, qui détiendront toujours le poids du nombre."
Lors de la conférence qui a précédé
cette table ronde, Richard Lefrançois, chercheur au Centre
de recherche sur le vieillissement de l'Institut universitaire
de gériatrie de Sherbrooke, a indiqué, de manière
plus globale, que dans un monde où l'espérance
de vie avait considérablement augmenté, la vieillesse
n'était plus ce qu'elle était, se caractérisant
par la pluralité des parcours et la diversité des
expériences. "Aujourd'hui, l'âge chronologique
est trompeur pour décrire la vieillesse, a expliqué
Richard Lefrançois. Il y a des gens qui sont vieux à
60 ans et d'autres qui sont encore jeunes à 80. C'est
donc l'âge fonctionnel qui devrait être pris en compte,
et non l'âge chronologique."
Apprendre, toujours
Avec plus de 7100 inscriptions aux sessions d'automne et d'hiver
2004-2005, l'Université du troisième âge
de Québec (UTAQ) a le vent dans les voiles. Bon an mal
an, cette université destinée aux 50 ans et plus
voit sa clientèle augmenter de 5% annuellement. Par exemple,
les huit Grandes Conférences offertes au Montmartre Canadien
ont été prononcées "à guichets
fermés", avec 1200 personnes, sans compter des centaines
d'ateliers, de cours et d'entretiens sur différents sujets
remplis à pleine capacité. Ce printemps, l'UTAQ
en remet avec un cours d'histoire prenant la forme de promenades
commentées dans différents quartiers de Québec.
Là encore, on affiche complet. "Il y a beaucoup,
beaucoup d'intérêt pour nos programmes", souligne
Jean-Benoît Caron, conseiller en formation à la
Direction générale de la formation continue. Notre
défi consiste à nous renouveler constamment afin
de continuer à intéresser nos étudiants,
dont la majorité se réinscrit d'année en
année."
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