Au Bénin et au Brésil, la mémoire de l'esclavage se conjugue différemment Le Bénin et le Brésil possèdent plusieurs points en commun. En effet, tous les deux arborent un passé colonialiste, le premier français et le second portugais, et ont vécu l'esclavage jusqu'au milieu du 19e siècle. Les deux pays ont également tous deux évolué vers une dictature militaire, avant de connaître un processus de démocratisation dans les années 1980. Dans cette foulée, un débat autour du pardon, de la réconciliation et des réparations quant aux torts causés par la traite d'esclaves s'est amorcé dans les deux communautés. Mais là s'arrêtent les similitudes.
Car si les "Afro-Brésiliens du Bénin", c'est-à-dire les descendants d'esclaves exportés au Brésil revenus vivre au Bénin, ne constituent que 5 % à 10 % de la population du pays, les "Afro-descendants du Brésil" - issus d'esclaves provenant d'Afrique - représentent, quant à eux, plus de la moitié de la population actuelle du Brésil, ce qui change la donne quant à leur façon respective de considérer le passé et d'envisager l'avenir. Selon Ana Lucia Araujo, organisatrice du colloque international ayant pour thème "Mémoires croisées: esclavage et diaspora africaine" qui a eu lieu récemment à l'Université, l'importance et le poids politique croissant des Afro-descendants dans la société brésilienne ne sont pas étrangers au fait que le débat public sur les réparations au Brésil y est plus avancé qu'au Bénin, et ce, même si la position sociale des Noirs brésiliens est encore loin d'égaler celle des Blancs.
"La reconnaissance du racisme comme crime dans la Constitution brésilienne de 1988 représente une évolution non négligeable pour le Brésil qui a reçu le plus grand nombre d'esclaves dans les Amériques et qui compte la deuxième plus importante population d'Afro-descendants après le Nigeria", affirme Ana Lucia Araujo, chercheuse à la Chaire de recherche du Canada en histoire comparée de la mémoire de l'Université Laval et qui étudie la construction de la mémoire de l'esclavage au Bénin et au Brésil, de 1835 à aujourd'hui. "Au Brésil toutefois, poursuit-elle, la distance entre la loi et son application est très grande, d'autant plus que la discrimination contre les Afro-descendants est basée sur des siècles d'esclavage." Les mauvais rôles Encore aujourd'hui, d'ajouter Ana Lucia Araujo, les Afro-descendants du Brésil habitent majoritairement dans les bidonvilles, n'ont pas accès aux soins de santé et à l'éducation et occupent des emplois mal payés. Dans les téléromans, dont les Brésiliens sont extrêmement friands, les Afro-descendants jouent le rôle du domestique, du jardinier, du chauffeur ou, dans le meilleur des cas, du footballeur. Mais le mouvement noir brésilien veille et la nécessité de créer des espaces où les Noirs sont représentés de manière égalitaire se fait de plus en plus sentir, constate la chercheuse.
Au Bénin, à la différence du Brésil, le débat sur la réparation et la mise en mémoire de l'esclavage semble être une initiative provenant davantage de l'Europe et des États-Unis que des groupes afro-brésiliens locaux, explique Ana Lucia Araujo. Malgré les projets mis de l'avant par l'UNESCO et d'autres organismes internationaux pour valoriser la mémoire de l'esclavage, les Afro-Brésiliens demeurent peu nombreux à revendiquer leur passé esclavagiste et à s'afficher sur la scène publique, plusieurs ne tenant pas nécessairement à être identifiés comme des descendants d'anciens esclaves. Sans compter que la population béninoise, dont le passé n'est pas associé à la traite des esclaves, est réticente à ce qu'on lui rappelle concrètement ce passé marqué au fer de l'oppression et de la servitude. | |