
Un virage attendu et nécessaire
Les politologues de Laval perçoivent
très positivement la nouvelle diplomatie canadienne
"Jamais, je crois, le gouvernement fédéral
n'avait produit un document aussi travaillé, aussi précis,
aussi intéressant en matière de politique étrangère",
a affirmé Gérard Hervouet, professeur au Département
de science politique et directeur du Programme paix et sécurité
internationales, le jeudi 21 avril au pavillon Charles-De Koninck,
dans le cadre d'une table ronde organisée par l'Institut
québécois des hautes études internationales
(IQHÉI). L'activité avait pour thème: "L'énoncé
de politique internationale du Canada: ambitions et réalités".
"Cette réforme était attendue depuis dix ans,
a-t-il ajouté. L'importance affirmée de l'Amérique
du Nord comme zone commerciale est quelque chose de nouveau.
Une autre nouveauté est que, pour la première fois
depuis plus de 50 ans, on touche au concept sacro-saint du multilatéralisme
en reconnaissant que cette notion est parfois une entrave. Si
l'approche multilatérale s'avère trop lente, ou
insuffisamment efficace, le Canada pourra la contourner."
Une révision majeure
Le gouvernement Martin a déposé le document
Énoncé des nouvelles orientations de
la politique internationale canadienne le mardi 19 avril
à la Chambre des Communes. Selon ce document, Ottawa entend
freiner la diminution considérable de son influence dans
le monde. Dans ce but, il mettra de l'avant une stratégie
intégrée dans quatre domaines, soit les affaires
étrangères, la défense, l'aide internationale
et le commerce. En coopération internationale, l'aide
doublera d'ici 2010. Elle ira, pour la majeure partie, à
un groupe de 25 pays parmi les plus pauvres, mais qui sont bien
gouvernés et qui respectent les droits de la personne.
Le Cambodge, le Honduras et l'Ukraine figurent sur cette liste.
Sur le plan du commerce, le Canada agira de façon à
bonifier la zone de libre-échange avec ses partenaires
mexicains et américains dans le but d'en tirer parti au
maximum. Dans le domaine militaire, tel qu'annoncé dans
le budget 2005, le gouvernement procédera à une
réforme visant l'intégration des forces armées
sous un même commandement et il dépensera 12, 8
milliards de dollars sur cinq ans pour augmenter progressivement
sa capacité d'intervention militaire.
Jean-Sébastien Rioux, professeur au Département
de science politique et titulaire de la Chaire de recherche du
Canada en sécurité internationale, dit avoir été
frappé par la réinterprétation de la notion
de multilatéralisme. "Ce n'est pas mal en soi, a-t-il
indiqué. On met beaucoup l'accent au Canada sur la nécessité
de faire partie d'institutions internationales. Mais on se préoccupe
moins des résultats." Dans le domaine de l'aide internationale,
ce dernier se dit heureux des modifications envisagées,
mais déçu de voir que le pourcentage du PIB canadien
qui sera consacré à cette aide demeurera en deçà
du 0,7 % préconisé par l'ONU.
Le Canada concentrera son aide internationale
sur 25 pays, accentuera ses relations commerciales avec le Mexique
et les États-Unis et se dotera d'une capacité d'intervention
militaire accrue
Une très bonne nouvelle
Jean-Sébastien Rioux estime que l'énoncé
de politique représente une nette amélioration
par rapport au Livre blanc de la politique étrangère
paru en 1995. Pour Louis Bélanger, professeur au Département
de science politique et directeur de l'IQHÉI, il s'agit
d'"une très bonne nouvelle". "Le gouvernement
fédéral décide enfin d'assumer le destin
nord-américain du Canada qu'il avait lui-même contribué
à créer en signant l'ALÉNA, a-t-il expliqué.
Depuis dix ans, on avait un gouvernement complètement
schizophrène sur cette question. Pour le gouvernement
Chrétien, l'ALÉNA était une concession faite
aux Américains. Son objectif était de rééquilibrer,
un tant soit peu, notre dépendance économique vis-à-vis
nos voisins." Selon ce dernier, le Canada n'est plus une
puissance moyenne, il n'a plus les moyens d'intervenir efficacement
dans les grandes enceintes multilatérales. "S'il
y a un domaine où c'est particulièrement vrai,
a souligné Louis Bélanger, c'est le commerce. Les
dernières négociations commerciales et les différents
échecs que le Canada a essuyés au niveau de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC) et de la Zone de libre-échange
des Amériques ont montré qu'il ne peut plus assumer
son rôle, compte tenu de l'élargissement de l'OMC
ces dernières années, et à la suite de l'émergence
de nouvelles puissances comme la Chine, l'Inde ou le Brésil."
Cette marginalisation du Canada expliquerait, en bonne partie,
son repli sur l'Amérique du Nord. "J'espère,
a-t-il ajouté, que ce ne sera pas vécu seulement
comme un repli, mais comme le déploiement d'une nouvelle
créativité au sein d'un espace riche en opportunités."
Dans le domaine militaire, l'Énoncé prévoit
que le Canada renforcera encore plus son partenariat de défense
avec les États-Unis. Selon Richard Garon, étudiant
au doctorat en science politique et professionnel de recherche
à l'IQHÉI, l'armée canadienne se spécialisera
pour pouvoir répondre adéquatement à des
menaces incertaines et changeantes. Dotée d'équipements
à la fine pointe de la technologie, elle aura la capacité
d'intervenir rapidement au pays comme à l'étranger.
"L'armée doit être flexible pour pouvoir intervenir
dans des délais très courts, a-t-il expliqué.
Les interventions internationales, sous l'égide de l'ONU
et de l'OTAN, seront des opérations de maintien de la
paix. Les soldats pourront combattre, faire des opérations
de stabilisation ou apporter de l'aide humanitaire."
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