
Pièges à CO2
Les résidus des mines d'amiante pourraient
servir à lutter contre le réchauffement climatique
Les parcs à résidus miniers du Sud du Québec
auraient séquestré naturellement près de
1,8 million de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique
depuis un siècle. Et ce chiffre ne représente qu'une
toute petite fraction du potentiel total de séquestration
offert par cette filière, estime Rémi Fiola, étudiant
au Département de géologie et de génie géologique,
au terme d'une étude qu'il a menée sous la supervision
des professeurs Georges Beaudoin et Donna Kirkwood.
Depuis quelques années, le professeur Beaudoin milite
en faveur de la séquestration du carbone comme complément
à la diminution des émissions de CO2 et à
la réduction de la consommation d'énergie dans
la poursuite des objectifs du protocole de Kyoto. Au Québec,
cette troisième voie pourrait passer par les résidus
de l'exploitation du chrysotile (amiante). En effet, le magnésium
contenu dans ces résidus réagit naturellement avec
le CO2 atmosphérique pour former un minerai appelé
hydromagnésite, dans lequel le CO2 est immobilisé
à perpétuité. Cette réaction permettrait
de réduire la quantité de CO2 dans l'atmosphère
tout en réglant le cas des résidus miniers qui
déparent le paysage des régions de l'Amiante et
de l'Estrie.
Georges Beaudoin a plaidé en faveur du développement
de cette filière dans le mémoire qu'il a présenté,
en 2003, devant la Commission des transports et de l'environnement
du Québec, et, il y a quelques mois à peine, dans
un article publié dans les pages de Geoscience Canada.
Mais encore fallait-il préciser le potentiel total de
ce puits de CO2, tâche à laquelle s'est attaqué
Rémi Fiola, dans le cadre de son mémoire de fin
d'études. À l'aide de photos aériennes et
de logiciels de modélisation tridimensionnelle de surfaces
complexes, l'étudiant a estimé que l'ensemble des
dépôts occupait une superficie de 22,5 kilomètres
carrés. En estimant l'épaisseur des résidus
miniers où la réaction entre le magnésium
et le CO2 est possible ainsi que la concentration en carbone
inorganique dans ces résidus, il a établi que 1,78
million de tonnes de CO2 avaient été séquestrées
depuis l'ouverture de la première mine de cette région
il y a plus d'un siècle. Ce chiffre représenterait
moins de 1 % du potentiel total de séquestration des résidus
des mines de chrysotile puisque seuls les résidus situés
en surface réagissent avec le CO2 atmosphérique.
"Ceci démontre que la séquestration du
CO2 se produit naturellement dans les parcs à résidus
des mines de chrysotile, et ce même dans des conditions
qui sont loin d'être idéales, souligne Georges Beaudoin.
Ces résidus offrent donc une voie intéressante
pour procéder à la séquestration passive
du CO2 émis par des sources non ponctuelles, comme la
pollution automobile par exemple." Selon le chercheur, il
faudrait identifier les conditions physiques et biologiques -
il soupçonne que la réaction est catalysée
par une bactérie - qui optimisent le procédé.
Il s'agirait par la suite d'exposer les résidus des mines
de chrysotile aux gaz atmosphériques pour favoriser la
captation du CO2. Les résidus pourraient ensuite être
retournés dans les fosses abandonnées, réglant
du coup les problèmes de pollution visuelle engendrés
par les montagnes de résidus et par les fosses.
Cette bonne idée sera-t-elle un jour mise en pratique?
Difficile à dire pour le moment puisque son sort ne repose
ni sur sa faisabilité technique, ni sur son utilité
sociale, mais essentiellement sur sa rentabilité économique.
"Tout va dépendre de la valeur à laquelle
se transigera la tonne de carbone sur le marché international",
souligne Georges Beaudoin. D'ici à ce que cette valeur
soit arrêtée, le chercheur poursuit ses travaux,
convaincu de la pertinence de cette approche. "Cette filière
est la seule forme de séquestration permanente du carbone
qui s'offre dans le contexte québécois, dit-il.
Le Québec dispose d'une opportunité unique d'utiliser
cette méthode pour séquestrer du carbone et pour
valoriser les parcs à résidus miniers du Sud du
Québec, tout en améliorant grandement l'économie
des régions."
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