
La force tranquille
Pier-André Bouchard dresse un bilan positif
du plus fort mouvement de mobilisation de l'histoire étudiante
du Québec
Pragmatisme. C'est peut-être le trait de caractère
qui définit le mieux Pier-André Bouchard, étudiant
au baccalauréat en mathématiques à l'Université
Laval. Manifestement, le succès du plus important mouvement
de grève québécois des quatre dernières
décennies ne monte pas à la tête du président
sortant de la Fédération étudiante universitaire
du Québec (FEUQ). Fidèle à l'image du leader
posé que l'on a si souvent vu à la télévision
ces derniers mois, il tire un bilan positif de la bataille menée
contre le gouvernement pour sauver le régime de bourses
allouées aux étudiants. En y mettant quelques bémols
cependant. "Je suis satisfait aux deux tiers, comme le vote
des assemblées auxquelles nous avons présenté
l'entente, explique-t-il. Cependant, nous avons réussi
à récupérer 482 millions de dollars sur
515. Et surtout, on peut se targuer d'avoir fait reculer un gouvernement
qui n'avait pas bougé alors que les centrales syndicales,
autrement mieux équipées que le mouvement étudiant,
n'y sont pas parvenues lorsqu'elles se battaient pour l'article
45."
C'est au souper familial, en compagnie de ses parents, tous deux
employés de l'Université Laval, Pierrette Bouchard,
titulaire de la Chaire d'étude Claire-Bonenfant sur la
condition des femmes et Jean-Claude St-Amant, professionnel de
recherche et ancien leader syndical, que Pier-André Bouchard
a attrapé la piqûre de l'engagement et du débat.
"Droit au but" pourrait être la devise de cet
étudiant au baccalauréat en mathématiques
qui ne s'embarrasse pas de formules alambiquées. "J'essaie
toujours d'arriver avec des discours très concrets pour
faire comprendre aux gens ce qu'une mesure gouvernementale change
dans leur propre vie, surtout s'ils ne sont pas convaincus d'avance
de l'importance de se mobiliser. Cela ne sert à rien de
prêcher à des convertis." Durant sa campagne
de sensibilisation, la FEUQ a donc abondamment utilisé
des projections chiffrées pour que chacun comprenne bien
l'appauvrissement que risquaient de subir les étudiants
endettés, tout en montrant en parallèle la richesse
engendrée quelques années plus tard par les diplômés
universitaires.
Un étudiant engagé
Cette orientation vers un discours très pratique,
Pier-André Bouchard l'a peaufinée alors qu'il représentait
l'Association des étudiants en mathématiques et
en statistique, puis présidait l'AESGUL, l'Association
des étudiant(e)s en sciences et génie de l'Université
Laval. "C'est une association très pragmatique, très
concrète, témoigne-t-il. Je me souviens que lorsque
j'assistais à des réunions de la CADEUL je ne comprenais
rien, car les sujets débattus me semblaient bien loin
de ma réalité d'étudiant." Manifestement
le jeune homme de 25 ans a appris rapidement puisque l'année
suivante, il présidait la CADEUL et menait la bataille
contre l'augmentation des frais afférents à l'Université
Laval. Une expérience qui l'a conduit d'abord à
la vice-présidence, puis, en mai 2004, à la présidence
de la FEUQ dont les plans d'action aux objectifs clairs et aux
moyens bien pesés correspondaient bien à ses aspirations.
"La mobilisation a commencé un an avant la grève,
raconte Pier-André Bouchard, dès que la coupure
de 103 millions de dollars a été annoncée
dans le budget." Contacts politiques, discussions avec les
associations étudiantes, premières mobilisations
à l'automne, blocus du ministère de l'Éducation:
la fédération a franchi les étapes une par
une pour obtenir ce printemps le plus fort mouvement de mobilisation
de l'histoire étudiante du Québec.
Son engagement très actif a un peu détourné
l'étudiant en mathématiques de ses objectifs d'études
initiaux, lui qui a consacré ses trois dernières
années à ses fonctions de représentant étudiant.
Si au départ l'astrophysique le passionnait, il semble
davantage décidé aujourd'hui à s'orienter
vers une maîtrise en économie quand il aura terminé
son baccalauréat en mathématiques. "J'ai envie
d'entrer dans ce domaine par la petite porte, loin du courant
orthodoxe lié à la loi du marché qui affirme,
par exemple, que les baisses d'impôt favorisent la croissance
économique, explique-t-il. Je trouve que l'économie
constitue un bel instrument pour approcher les problèmes
sociaux de manière concrète." Entre deux manifestations,
le président de la FEUQ s'est pris à rêver
avec d'autres responsables de démarrer un groupe d'économistes
capables de damer le pion aux études néo-libérales
que publie régulièrement l'Institut économique
de Montréal. Et la carrière politique vers laquelle
se sont dirigés plusieurs anciens leaders étudiants
comme Bernard Landry, Gilles Duceppe ou plus récemment
Nicolas Brisson de la FEUQ, est-ce une tentation? "Les gens
me posent des craques, mais de toute façon je veux d'abord
finir mes études. Par ailleurs, le mouvement étudiant
m'a montré qu'il n'était pas nécessaire
d'être au gouvernement pour changer les choses. Les citoyens
ne prennent pas des décisions seulement tous les quatre
ans lors des élections."
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