Autres temps, mêmes combats
La récente grève étudiante
plonge ses racines dans les années 1950
par Yvon Larose
"Il est possible de dégager deux tendances de
la grève étudiante qui vient de se terminer, estime
Martin Pâquet, professeur adjoint au Département
d'histoire et spécialiste de la culture politique. La
première est relative à la politisation des jeunes.
La seconde touche aux conceptions des droits qui sont révélées
par le mouvement de mobilisation étudiante." Selon
lui, la grève a mis en lumière la grande efficacité
du mouvement étudiant comme lieu d'apprentissage de l'engagement
civique. "Les jeunes étudiants et étudiantes,
dit-il, ne sont pas que des individus préoccupés
par leur seul intérêt personnel: il y a chez eux
une grande sensibilité au bien commun, sensibilité
qui s'exprimait entre autres par les mouvements altermondialiste
ou écologiste, mais qui prend aussi forme autour de conceptions
mobilisatrices du devenir national."
En ce qui concerne la seconde tendance, il est très révélateur,
selon Martin Pâquet, que les opposants au mouvement étudiant
aient, dès les débuts, condamné ce qui leur
apparaissait comme de l'égoïsme et de l'absence de
responsabilité. "Cela renvoie à leur conception
des droits civils et politiques, axée sur la promotion
sans contraintes de la liberté et de la consommation individuelles,
indique-t-il. Or, la conception des droits qui est véhiculée
par le mouvement de mobilisation étudiante favorise un
accès élargi aux droits socioéconomiques,
comme ceux de l'éducation ou de la santé, droits
collectifs qui impliquent une responsabilisation de chacun à
l'endroit des autres." Selon lui, les étudiants en
grève ont démontré une assez grande capacité
de résistance à la promotion exclusive de l'individu.
"Comment cela va-t-il se développer?, demande-t-il.
Je ne saurais le dire, mais cette tendance, auparavant un peu
souterraine, est très forte en ce moment."
Fin de guerre et baby-boom
Le vendredi 15 avril, dans le cadre des midi-conférences
de l'AELIÉS à l'Agora du pavillon Alphonse-Desjardins,
Martin Pâquet a fait un exposé sur les mobilisations
étudiantes universitaires au Canada depuis les années
1950. "Au lendemain de la guerre, rappelle-t-il, les responsables
politiques canadiens et québécois voulaient éviter
la répétition de l'avant-guerre. Le chômage
endémique causé par la Grande Dépression
avait créé beaucoup de désoeuvrement qui
avait entraîné du désordre social. Pour éviter
cela avec le retour des vétérans, on a favorisé
leur intégration aux universités." Des universités
voient le jour à cette époque, entre autres York
et Trent. L'Université Laval, pour sa part, entreprend
la construction d'une cité universitaire à Sainte-Foy.
Quant à l'importante croissance démographique consécutive
au baby-boom, elle interpelle à nouveau
les responsables politiques. "Il était important,
pour eux, de former cette jeunesse. Dès 1957, des pressions
importantes se font sur le système d'enseignement post-secondaire
au Canada."
Selon Martin Pâquet, les étudiants des années
1950 sont sensibles à la question des droits socioéconomiques
comme le droit à la santé, le droit à la
protection sociale et le droit à l'éducation. "Comme
l'État-Providence leur garantit en grande partie cet outil
d'épanouissement personnel et collectif qu'est l'éducation,
ils vont en revendiquer l'accès, un accès plus
large. Les premières luttes étudiantes, qui commencent
à cette époque, portent donc essentiellement sur
l'accès à l'université."
Grève d'un jour
La première grève étudiante universitaire
éclate au Québec le 6 mars 1958. Plus de 20 000
étudiants font une grève d'un jour en faveur d'un
accès élargi aux études supérieures.
"Il faudra cependant attendre la création du ministère
de l'Éducation, puis la grève étudiante
d'octobre 1968 pour qu'il y ait un relatif déblocage dans
le dossier de l'aide financière gouvernementale aux étudiants",
précise Martin Pâquet.
Des manifestations ont lieu en 1961 à l'Université
Western Ontario contre le recours à la bombe nucléaire.
De 1965 à 1975, les étudiants des différents
campus universitaires au Canada manifestent pour demander le
retrait des troupes américaines du Viêt-Nam. En
février 1968, les étudiants de l'Université
de Moncton, au Nouveau-Brunswick, se mobilisent pour un accès
accru à l'éducation post-secondaire et contre les
politiques linguistiques francophobes du gouvernement. Quelques
mois plus tard, les étudiants des universités montréalaises
descendent dans la rue pour demander la création d'une
deuxième université de langue française
à Montréal et la création d'un régime
de prêts et bourses. "Le gouvernement de Jean-Jacques
Bertrand se retrouve aux prises avec une crise majeure, raconte
Martin Pâquet. Cette situation entraîne la création
de l'Université du Québec et la création
du régime de prêts et bourses avec une limite de
500 $ par an des droits de scolarité." En mars 1969,
15 000 personnes, dont de nombreux étudiants, participent
à Montréal à une manifestation populaire
pour la francisation de l'Université McGill.
Au Québec, les années 1970 vont être marquées
par une grève étudiante massive en 1974, suivie
d'une autre en 1978. Cette année-là, cégeps
et associations étudiantes universitaires revendiquent
le gel des droits de scolarité et un accès facilité
au régime de prêts et bourses. Le scénario
se répète en 1986, puis en 1996 alors que le gouvernement
Bouchard maintient le gel des droits de scolarité.
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