
Le défi de l'agilité
La survie de nos entreprises passera par
leur capacité d'adaptation
par Jean Hamann
"Agiles". Voilà, selon Sophie D'amours, ce
que nos entreprises doivent absolument devenir pour réussir
à s'imposer sur un échiquier mondial de plus en
plus dominé par de gros joueurs. Sinon, l'inéluctable
loi de la survie du plus fort fera des ravages dans notre économie
et d'autres secteurs industriels connaîtront le même
sort que notre industrie textile. Invitée à clôturer
la saison des Conférences grand public de la Faculté
des sciences et de génie, le 6 avril, la professeure du
Département de génie mécanique, détentrice
d'un MBA et d'un doctorat en génie industriel, a décrit
sa lecture de la situation depuis son poste d'observation situé
à mi-chemin entre l'ingénierie et le monde des
affaires.
D'abord, la donne ne nous est pas forcément favorable,
a-t-elle rappelé. "Les entreprises québécoises
traversent une période de compétitivité
perturbée, en raison de la mondialisation de l'économie.
De plus en plus, les grands joueurs mondiaux font affaire avec
d'autres grands joueurs mondiaux et il y a déplacement
des entreprises et des emplois." À titre d'exemple,
elle cite le cas de Wal Mart dont le nom figure, à côté
de celui de pays, dans la liste des dix principaux partenaires
économiques de la Chine. Par ailleurs, nos liens étroits
avec les États-Unis constituent une arme à deux
tranchants. "C'est un avantage qui a cependant limité
notre exploration des autres marchés et qui nous place
à la merci du taux de change américain." Elle
constate enfin que ces rapports ont conduit notre économie
à une culture de première transformation.
Est-ce un problème? "Oui, affirme-t-elle sans hésitation,
si on considère ce à quoi nous devons nous mesurer."
Par exemple, la Chine est devenue "l'usine mondiale".
Elle produit, entre autres, 75 % des jouets, 70 % des tracteurs
et des photocopieurs, 60 % des bicyclettes et 58 % de tous les
téléphones fabriqués dans le monde. Le salaire
horaire moyen y est de 0,69 $. Au Canada, il est de 14,29 $.
"Si on fait les mêmes produits avec les mêmes
procédés, il n'y a pas moyen de rivaliser avec
les Chinois", constate Sophie D'Amours.
La voie de sortie, et de survie, pour nos entreprises consiste
à développer une proposition de valeurs différente
de la concurrence, estime la chercheure. C'est d'ailleurs ce
à quoi elle s'affaire à titre de directrice générale
du Consortium de recherche sur les affaires électroniques
dans l'industrie des produits forestiers (FOR@C). Ce groupe de
recherche, pour lequel elle a déniché un financement
de 9,5 M$ répartis cinq ans, regroupe des chercheurs de
Sciences et génie, de Foresterie et de géomatique
et des Sciences de l'administration, ainsi que des partenaires
industriels qui explorent des façons d'améliorer
le réseau de création de valeur dans le secteur
des produits de la forêt.
FOR@C cherche notamment à optimiser la chaîne de
production en réduisant le temps sans valeur ajoutée
pour chaque produit. C'est-à-dire le temps pendant lequel
les produits dorment dans des inventaires en attendant de passer
d'une entreprise à une autre. Entre le moment où
un arbre quitte la forêt et celui où le consommateur
achète un produit, il peut s'écouler de 6 à
12 mois. "Pour faire face aux variations du marché,
les entreprises se protègent en constituant des inventaires
alors qu'il faudrait plutôt recourir à des solutions
collaboratrices pour améliorer le réseau de création
de valeur", soutient la chercheure. L'équipe de FOR@C
a d'ailleurs mis au point un jeu en ligne, accessible à
partir de la page www.forac.ulaval.ca/, qui simule les opérations
dans un réseau des produits forestiers. Le "Jeu du
bois" démontre l'importance du partage de l'information
entre les entreprises partenaires pour améliorer le réseau
de création de valeur. Cet outil sert d'ailleurs lors
d'ateliers sur la gestion du réseau logistique offerts
par le consortium.
"Il ne suffira pas d'arriver avec de nouveaux produits pour
survivre, plaide Sophie D'Amours. Il faudra des produits issus
de réseaux de productions mieux pensés, des produits
plus personnalisés qui feront appel à plus de savoir
et plus de technologies. Le défi derrière tout
ça c'est l'agilité des entreprises. L'avenir de
notre économie en dépend."

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