Le Canada à la lettre Le timbre canadien s'avère un excellent véhicule de propagande nationaliste par Renée Larochelle En 1997, l'annonce faite par la Poste française d'émettre un timbre commémorant le 30e anniversaire de la visite du général de Gaulle au Québec avait soulevé un tollé au Canada anglais. À la suite de pressions diplomatiques exercées par le gouvernement canadien et de l'intervention personnelle du premier ministre Chrétien auprès du président Chirac, le projet avait été abandonné. Selon Vincent Fontaine, qui a passé en revue quelque 2170 timbres canadiens émis entre 1851 et 2003, dans le cadre de sa maîtrise en histoire, l'anecdote illustre à merveille que le choix des images apparaissant sur les timbres ne relève pas du hasard mais bien de la volonté de transmettre un message. Les timbres constitueraient un extraordinaire véhicule de propagande nationaliste pour un Canada uni et confiant en l'avenir.
Le Canada l'emporte haut la main sur les autres pays quant au nombre de fois où son drapeau - symbole national par excellence - apparaît sur un timbre, note Vincent Fontaine. Omniprésent, l'unifolié est représenté de mille et une façons, et dans des contextes parfois étonnants. C'est le cas d'un des deux timbres émis en 1998 pour souligner la tenue de l'International de sumo à Vancouver, sur lequel on voit un lutteur japonais dont le pagne représente une feuille d'érable rouge. Outre le drapeau et l'unifolié, les années 1970 verront le marché philatélique inondé d'éléments considérés comme autant de symboles nationaux: Parlement d'Ottawa, armoiries, agents de la Gendarmerie royale du Canada, forêts giboyeuses, grands espaces, animaux emblématiques, etc. "Je l'aime mon pays, je l'aime" "En tant que représentations idéalisées de la réalité, les timbres ne dévoilent que les aspects positifs du peuple canadien, explique Vincent Fontaine. Les personnes qui y figurent ont presque toujours l'air heureuses et épanouies, les paysages sont verdoyants, les villes paisibles, les ciels toujours bleus et ensoleillés. Des thèmes comme le chômage, la pollution et la criminalité ne sont jamais représentés, pas plus que les dépotoirs et les ghettos des grandes villes." Par ailleurs, il faudra attendre les années 1960 avant que le multiculturalisme fasse son entrée sur le marché du timbre canadien. Sur les timbres de Noël de 1968, et pour la première fois dans l'histoire du Canada, figurent des uvres d'art réalisées par des autochtones, soit des sculptures en stéatite réalisées par des artistes Inuits. L'année suivante, la Société canadienne des postes met en vente deux autres timbres de Noël visant à souligner l'apport des groupes ethniques à la construction de la nation canadienne. On y voit cinq enfants appartenant à différentes ethnies. L'un d'eux porte un anorak, comme si les concepteurs voulaient montrer clairement qu'il s'agissait d'un Inuit. Toutefois, souligne Vincent Fontaine, aucun message n'est plus clair que celui véhiculé par un timbre émis en 1990 intitulé à bon escient "Multiculturalisme", écrit dans les deux langues officielles, et dont le motif est composé de douze formes géométriques, représentant autant de communautés culturelles, disposées de façon à ce qu'émerge la forme d'une feuille d'érable. Encore les commandites Il arrive pourtant que les sujets des timbres répondent à des impératifs moins nobles, explique Vincent Fontaine. S'il était impensable avant 1990 d'honorer des entreprises et des institutions particulières par le biais d'un timbre, les choses ont changé alors que plusieurs émissions ont eu pour sujet de grandes entreprises ayant commandité leur propre timbre. Par exemple, on retrouve cinq timbres de 1993 représentant des hôtels du Canadien Pacifique, tandis qu'un autre marque le 125e anniversaire de la compagnie Eaton (1993), le 75e anniversaire de Canadian Tire (1997), les 25 ans de Pétro-Canada (2000) et même le 40e anniversaire de Home Hardware (2004). La commandite est parfois beaucoup moins subtile, comme en témoigne un timbre promu par l'entreprise Laura Secord, dans la série des Héros légendaires. Comme par hasard, l'un des personnages représentés est l'héroïne de la guerre de 1812 portant le nom de Laura Secord. Autre temps, autre murs: Winnie l'Ourson, dont l'origine canadienne est controversée, fera l'objet d'un timbre en 1996, faisant du même coup la promotion de la série animée éponyme ainsi que du site de Disneyland en Floride figurant en arrière-plan.
Accéder au panthéon philatélique est un privilège dont les membres de la famille royale britannique profiteront allègrement. De 1950 à aujourd'hui, la reine Élizabeth fera l'objet de plusieurs timbres, délaissant peu à peu couronne et physionomie sévère pour arborer l'air souriant d'une dame presque ordinaire, près de ses sujets. Si tous les premiers ministres du Canada ont "leur" timbre, un événement historique peut parfois projeter un inconnu sur le devant de la scène philatélique. C'est le cas de Pierre Laporte, ministre provincial kidnappé et assassiné par le FLQ en 1970 et qui a fait l'objet d'un timbre l'année suivante. Étrangement, le prétexte officiel de l'émission de ce timbre a été le 50e anniversaire de la naissance de Pierre Laporte, note Vincent Fontaine.
"Le Premier ministre Pierre-Elliot Trudeau avait bien compris le pouvoir du timbre quant à l'identification des Canadiens à leur pays, explique l'historien. Dans une lettre confidentielle adressée au ministre des Postes, en 1978, soit deux ans avant le référendum de 1980, Trudeau insistait sur la nécessité de mettre davantage l'accent sur l'identité et l'histoire canadienne, ainsi que sur un meilleur équilibre dans la représentation des intérêts et de la participation des diverses régions, des francophones et des anglophones." | |