Le français en danger? Des linguistes de demain s'inquiètent des acquis fragiles résultant des luttes d'hier par Pascale Guéricolas Au Québec, les progrès réalisés en matière d'utilisation du français depuis quelques décennies laissent peut-être penser que cette langue s'y porte à merveille. Or, les acquis restent fragiles et la francisation pourrait même reculer dans certains secteurs si les Québécois relâchent leur garde, prévient le linguiste Jean-Claude Corbeil, auteur du dictionnaire Le Visuel, invité à l'Université dans le cadre des Journées de linguistique. Organisé par l'Association des étudiants diplômés et inscrits en langues et linguistique (AÉDILL) les 7 et 8 mars, ce colloque aura permis à de jeunes chercheurs de présenter leurs travaux, mais également de dialoguer avec un linguiste très engagé depuis les années soixante dans la défense du français, lors d'un échange sur le thème "Points chauds sur la langue". Des représentants de l'Office de la langue française et du Conseil supérieur de la langue française assistant à la rencontre ont pu constater que la génération montante de linguistes se préoccupe des questions contemporaines touchant la langue. Les réformes linguistiques, le Rapport Larose, l'anglais au travail, la féminisation des titres et des fonctions, la norme linguistique et les dictionnaires québécois, voilà quelques-uns des sujets présentés par des étudiants de maîtrise et de doctorat en guise d'introduction à l'échange prévu avec Jean-Claude Corbeil. Des Introductions plutôt consistantes d'ailleurs, puisque les jeunes chercheurs ont concocté leur présentation pendant plusieurs semaines dans le cadre du séminaire sur l'aménagement linguistique du professeur au Département de langues, linguistique et traduction Pierre Auger, et sous la houlette de Gabrielle Saint-Yves, stagiaire post-doctorale au Centre interdisciplinaire de recherches sur les activités langagières ( CIRAL). Manifestement, Jean-Claude Corbeil ne prend rien pour acquis en matière de langue. Ainsi, la question de l'enseignement de l'anglais à l'école primaire le préoccupe beaucoup. "Lorsque je participais à la Commission Larose, plusieurs experts nous ont bien expliqué qu'il valait mieux enseigner l'anglais à la fin du primaire de façon plus intensive lorsque le français est bien maîtrisé, plutôt que de le saupoudrer dès la première année comme plusieurs le demandent aujourd'hui", note le linguiste. Il s'inquiète également des tentatives menées devant la Cour suprême pour permettre à certains parents de retirer leurs enfants du système scolaire francophone. Jean-Claude Corbeil souligne en effet que l'école a joué un rôle majeur dans la francisation de nombre d'enfants d'immigrants - et de leurs parents par ricochet - depuis plusieurs décennies. Cependant, cette institution s'avère moins efficace à intégrer les immigrants depuis que les francophones désertent l'île de Montréal pour la banlieue ou inscrivent leurs enfants au privé. À l'occasion d'une présentation de Benoît Carbonneau sur l'usage du français en milieu de travail, le linguiste a souligné par ailleurs que la mondialisation et l'élargissement des marchés posent de nouveaux défis que la Charte de la langue française n'avait pas prévus dans ses différents articles. "Aujourd'hui, tout le monde va chercher de l'information sur Internet, et cela se passe surtout en anglais, constate-t-il. L'impérialisme américain s'exerce donc de plus en plus sur le lexique avec l'arrivée de nombreux anglicismes. Ainsi au Québec on supporte beaucoup les événements plutôt que de les soutenir, on a vraiment une patience énorme!" Pour avoir participé à la Commission Gendron, qui a conduit plus tard à la Loi 101, puis à la Commission Larose vingt ans plus tard, Jean-Claude Corbeil est à même de constater que le lieu de l'influence de l'anglais au Québec a changé. Si autrefois la communauté anglophone exerçait un rôle dominant au sein même de la société québécoise, les pressions sur le français viennent aujourd'hui davantage de l'étranger, en particulier de notre puissant voisin, les États-Unis. Du coup, l'anglais est considéré comme la langue de la réussite et même les sociologues rédigent leurs demandes de recherche dans cette langue, comme l'a souligné Danielle Morisset dans sa présentation. Manifestement, la langue anglaise semble reprendre du terrain au Québec, a remarqué l'étudiante alors que la francisation en entreprise s'essouffle et que l'affichage bilingue se fait plus présent. Cependant ces différents phénomènes ne semblent pas inquiéter les Québécois, confiants, à l'entendre, de la solidité de leurs acquis linguistiques.
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