Les lacs arctiques sont en mutation
Le réchauffement climatique perturbe
la structure de ces écosystèmes sensibles
par Jean Hamann
Depuis 1850, les lacs de l'Arctique connaissent une période
de bouleversements écologiques majeurs qui chambardent
la structure des communautés d'organismes vivants qui
les habitent. Jamais au cours des trois derniers millénaires
des changements d'une telle ampleur ne sont survenus dans ces
milieux, révèle une étude internationale
publiée dans le dernier numéro de la revue scientifique
américaine Proceedings of the National Academy of Science.
Les 26 chercheurs qui signent l'article - dont Reinhard Pienitz,
Marie-Andrée Fallu, Tamsin Laing et Émilie Saulnier-Talbot
du Centre d'études nordiques (CEN) de l'Université
Laval - attribuent ces chamboulements au réchauffement
climatique de la planète. "La possibilité
d'étudier des lacs arctiques non touchés par l'activité
humaine a peut-être disparu", avance même le
professeur Pienitz.
La preuve des chercheurs repose sur l'analyse des restes d'animaux
et d'algues microscopiques accumulés dans les sédiments
de 55 lacs nordiques répartis dans cinq pays circumpolaires.
À l'aide de carottes de sédiments provenant du
fond de ces lacs, les chercheurs ont reconstitué la composition
des communautés qui y vivaient à différentes
époques, et ils en ont suivi l'évolution au fil
des siècles. Une carotte longue de 40 centimètres
renferme des archives biologiques couvrant environ 3 000 ans.
Les analyses des chercheurs ont révélé que,
depuis la révolution industrielle, les populations de
certaines espèces rares ont explosé alors que d'autres,
autrefois abondantes, ont pratiquement disparu. Le réchauffement
climatique, provoqué par l'accroissement des gaz à
effet de serre, aurait favorisé les espèces qui
tolèrent bien le prolongement de la saison de croissance
et la réduction du couvert de glace.
Plus d'inertie au Sud
Les changements survenus dans les lacs arctiques contrastent
avec la relative stabilité des 12 lacs des régions
subarctiques du Québec étudiés par l'équipe
du CEN. "Les variations que nous avons observées
n'ont rien de comparables avec ce qui se passe dans les lacs
de l'Arctique", observe Reinhard Pienitz. L'inertie dans
la réponse biologique de ces lacs pourrait provenir du
fait que le Nord du Québec est une péninsule surélevée
bordée par de grands plans d'eau qui les préservent
du réchauffement climatique, propose le chercheur. Ces
mêmes particularités expliqueraient pourquoi le
Nord du Québec a tardé à sortir de la dernière
grande glaciation il y a 20 000 ans.
La situation des lacs du Québec subarctique pourrait cependant
changer dramatiquement d'ici peu, poursuit-il. "Les travaux
de mon collègue Michel Allard montrent que le pergélisol
se réchauffe au Nord du Québec. J'estime que des
changements majeurs risquent de survenir dans ces lacs prochainement."
Reinhard Pienitz sera aux premières loges pour observer
ces changements puisque lui et son équipe ont installé
des sondes qui enregistrent, toutes les dix minutes, la température
de l'eau à différentes profondeurs dans cinq lacs.
Au cours de la prochaine décennie, les chercheurs se rendront
sur le terrain une fois par an pour récolter les précieuses
données qui permettront de suivre les tendances des variations
climatiques.
En dépit de l'importance des perturbations observées
par l'équipe internationale de recherche, le professeur
Pienitz refuse de croire que les lacs de l'Arctique ont atteint
un point de non-retour. "Ce serait pessimiste de penser
ainsi. Les écosystèmes ont la capacité de
répondre à des stress et de se rétablir.
Dans le cas des lacs arctiques, ça pourrait toutefois
être très long, même si les objectifs de réduction
des gaz à effet de serre étaient atteints, parce
que tout fonctionne au ralenti à ces latitudes."
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