
La grande consultation Marqués à vie par la torture, des réfugiés frappent à la porte de l'École de psychologie par Renée Larochelle "La torture est d'abord une entreprise d'avilissement", écrivait Jean-Paul Sartre. Et pour cause: celui qui subit la torture vit un désastre existentiel, une catastrophe, une perte où plus rien de ce qui existait avant n'est pareil. Comment continuer à vivre tout en restant soi-même, dans l'après et dans l'ailleurs, quand on a été détruit dans son intégrité physique et morale?
C'est ce pont entre l'avant et l'après que tentent de rétablir les thérapeutes du Service d'aide psychologique spécialisée aux immigrants et réfugiés (SAPSIR) de l'École de psychologie auprès de réfugiés vivant à Québec et qui ont été victimes de torture dans leur pays. Depuis sa fondation en avril 2000 et jusqu'à décembre 2004, le SAPSIR a réalisé plus de 1 100 entrevues cliniques auprès d'une centaine de personnes. À titre d'exemple, 80 % des 40 personnes traitées au cours de l'année 2004 avaient subi directement ou indirectement de la torture. Originaires d'Afghanistan, de Bosnie, du Brésil, du Congo, de Colombie, du Salvador, du Kosovo et de Madagascar, ces personnes ont été référées au SAPSIR par différents intervenants du réseau de la santé ou par des organismes communautaires de la région de Québec
"Les gens du milieu de la santé vont inciter les victimes de torture à venir frapper à notre porte parce qu'ils ont reçu ces personnes en consultation et qu'ils se sentent démunis face aux profonds traumatismes qu'elles présentent, explique Jean-Marc Pocreau, qui dirige l'Unité d'ethnopsychiatrie et de stress post-traumatique (UESPT) du Service de consultation de l'École de psychologie. Bien souvent, ils trouvent que ces cas extrêmes dépassent leurs compétences. Dans la région de Québec, l'expertise est rare en ce qui a trait à l'accompagnement et au traitement des réfugiés en situation de détresse psychologique sévère, des survivants de la torture et de la violence organisée." Des alliances à créer Pour tenter d'expulser le tortionnaire du corps et de l'esprit qui hante les jours et les nuits des victimes de torture, l'équipe de UESPT, composée de six thérapeutes triés sur le volet, fait cercle autour de la personne ou de la famille, évitant ainsi un face-à-face souvent perçu comme menaçant chez plusieurs communautés culturelles. Petit à petit, au cours des deux heures que dure généralement la rencontre, aussi appelée "grande consultation", on tente d'instaurer un climat de confiance et de sécurité, en parlant "autour" du problème, comme le souligne Jean-Marc Pocreau. "Les conversations se déroulent dans la langue maternelle du patient, par le biais d'un interprète qui sert en quelque sorte de médiateur culturel. Notre approche s'appuie sur des facteurs culturels, afin de créer une sorte d'alliance avec les personnes et les aider à dénouer les nuds. N'oublions pas qu'un acte de torture commis par une personne appartenant à la même culture que la victime est extrêmement marquant, la culture étant normalement considérée comme un facteur de protection", d'ajouter l'ethnopsychiatre.
Dépendant des personnes, une quinzaine de rencontre sont nécessaires dans ce processus de guérison menant à la reconquête de soi. Mais aucune limite de temps ne vient bousculer cette tâche difficile exigeant infiniment de doigté et d'humanité de la part des thérapeutes. "Tout notre travail repose sur le psychisme et la culture, dit Jean-Marc Pocreau. On doit restaurer la vitalité de la personne et l'apaiser, en somme, lui permettre de continuer à vivre ailleurs, après la torture, tout en sachant qu'elle est marquée de façon indélébile et qu'elle n'oubliera jamais." 
| |