
Faut-il avoir peur de la médecine?
par Jean Hamann
Salles d'urgence bondées, attentes interminables, mauvais
diagnostics, surmédication, complications post-opératoires,
infections nosocomiales causées par un entretien ménager
déficient, médicaments aux effets secondaires pires
que le mal pour lequel on les prescrit, la liste des récriminations
contre la médecine est aussi longue que la liste des patients
en attente d'une chirurgie! Une étude récente menée
au Canada a d'ailleurs révélé qu'un patient
sur treize a été victime d'une erreur médicale
en 2000, et qu'entre 9 000 et 23 000 personnes en sont mortes.
De là à se demander s'il faut avoir peur de la
médecine, il n'y a qu'un pas qu'ont franchi avec plaisir
les polémistes organisateurs du dernier Bar des sciences
de Québec, présenté le 16 février
au café Loft.
"La pratique de la médecine comporte une part d'indétermination,
et qui dit indétermination dit risque", a fait valoir,
en levée de rideau, Hubert Marcoux, médecin et
professeur à la Faculté de médecine. "Nous
sommes sortis de l'époque de la médecine paternaliste
pour entrer dans l'ère de la médecine à
responsabilité partagée, poursuit-il. Par conséquent,
il doit y avoir partage du risque et des responsabilités
entre le patient et son médecin." S'il faut craindre
la médecine, c'est lorsqu'elle se fait complice d'une
société malade, avance le professeur Marcoux. "Il
y a parfois un biais dans le jugement des médecins qui
n'a rien à voir avec des questions de santé",
déplore-t-il, citant au passage le cas des médicaments
prescrits aux enfants pour soulager des parents trop pressés.
Anne-Marie Savard, étudiante au doctorat à la Faculté
de droit et membre du Comité d'éthique de la recherche
à l'Hôpital Laval et du Comité d'éthique
clinique à l'Hôpital Robert-Giffard, estime qu'on
assiste à un rééquilibrage de la responsabilité
entre le patient et le médecin. "Grâce en partie
au travail des comités d'éthique, on a remis des
droits entre les mains des patients et ces droits servent de
garde-fous contre d'éventuels abus. Aujourd'hui, on assiste
peut-être même à un excès de droits
dans la pratique quotidienne de la médecine."
Trop ou pas assez?
Thibaut Rackelboom, anesthésiste à l'Hôpital
Cochin à Paris, rappelle qu'il faut distinguer les erreurs
médicales des aléas thérapeutiques. "Tout
traitement comporte un risque, mais les procédures de
maîtrise du risque sont bien meilleures maintenant qu'elles
ne l'étaient il y a vingt ans, juge-t-il. Le médecin
possède plus de connaissances et il dispose d'un meilleur
arsenal technologique. C'est grisant lorsque ça fonctionne,
mais à cause de ce pouvoir, c'est parfois difficile pour
un médecin de reconnaître ses limites et d'admettre
ses échecs." Thibaut Rackelboom en appelle également
à la prudence face aux compagnies pharmaceutiques qu'il
décrit comme "des machines de guerre qui disposent
de grands moyens et qui sont la principale source d'information
des médecins débordés. Il faut s'en méfier
même si ce sont des partenaires."
Le professeur de philosophie Luc Bégin prédit
que le rapport de pouvoir entre le patient et le médecin
pourrait radicalement changer au cours des prochaines années
avec la prolifération des sites Internet consacrés
aux maladies. "Il y a là un défi énorme
pour les médecins. Ils doivent apprendre à composer
avec des patients informés." La médecine à
responsabilité partagée pourrait cependant conduire
à un étrange paradoxe, souligne-t-il. "Elle
exige plus de discussion, plus d'écoute et plus de temps
de la part du médecin, ce qui signifie que ça va
coûter plus cher. La médecine offre de plus en plus
de possible, mais l'accessibilité ne va pas de pair. La
peur de ne pouvoir être soigné existe elle aussi."
En effet, malgré tous les errements de la médecine,
ce que les gens craignent par-dessus tout, ce n'est pas "trop
de médecine", mais "pas assez de médecine",
à un moment critique de leur vie, a souligné l'animateur
de la soirée, le journaliste Yanick Villedieu de Radio-Canada.
Cette crainte est partagée par Hubert Marcoux, qui s'inquiète
surtout du sort que le système de santé réserve
à certaines catégories de patients, notamment les
personnes âgées, les personnes atteintes de problèmes
de santé mentale et les toxicomanes. "On assiste
présentement à une exclusion arbitraire de certains
malades qui se fait sur la base de critères économiques,
déplore-t-il. On manque de clairvoyance et de prudence."
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