
Les fruits amers de la violence verbale
La Coalition contre la discrimination s'inquiète
des retombées de certains propos haineux véhiculés
par la radio dite "de confrontation"
par Pascale Guéricolas
Mise en place récemment, la Coalition contre la discrimination,
un regroupement de citoyens et d'associations destiné
à combattre toutes les formes de préjugés,
les propos et les gestes haineux envers les groupes minoritaires,
bénéficie d'appuis dans la communauté universitaire.
L'Association des étudiants burundais de l'Université
Laval en fait partie, et la linguiste Diane Vincent se voit souvent
invitée par la coalition comme analyste. Cette anthropologue
de formation a ainsi participé fin février à
un débat public sur la discrimination auquel prenaient
part également la Ligue des droits et libertés
ainsi que GRIS-Québec, une association qui cherche à
changer les perceptions de l'homosexualité.
Directrice du livre collectif Fréquences limites
paru cet automne aux éditions Nota bene, la professeure
de linguistique s'intéresse depuis plusieurs années
à la radio de confrontation à Québec. Les
analyses qu'elle mène avec ses étudiants sur les
propos tenus par certains animateurs radiophoniques l'a amenée
à s'interroger sérieusement sur la signification
de la liberté d'expression, alors que la station CHOI-FM
s'est approprié cette expression pour éviter sa
fermeture par le CRTC. "La liberté d'expression émerge
dans un contexte où la société refuse de
catégoriser et de hiérarchiser des groupes d'individus,
et où l'on donne la parole à ceux qui se sentent
blessés et écorchés, explique Diane Vincent.
La liberté d'expression, ce n'est pas le droit de dire
n'importe quoi."
Abondant dans le même sens, la porte-parole de La ligue
des droits et libertés, membre de la Coalition contre
la discrimination, constate que les propos haineux ou discriminatoires
d'animateurs radiophoniques de CHOI FM ont des effets directs
sur la propension de certains citoyens à recourir à
la discrimination. "Les médias doivent faire très
attention à la façon dont ils présentent
certains faits ou aux opinions présentées comme
des vérités, précise Nancy Gagnon, car on
observe un climat de peur à Québec autour d'événements
comme ceux du 11 septembre 2001 ou l'affaire de la prostitution
juvénile." Ce que confirme Mirlande Demers, une citoyenne
de Québec dont la peau noire et le handicap physique constituent
à l'entendre des cibles de choix pour les pro-X de CHOI-FM.
"Les appels à la haine des animateurs ressemblent
à des clous qu'on entre dans la peau des gens", fait-elle
valoir.
La linguiste Diane Vincent s'intéresse justement à
l'impact des propos tenus sur les radios de confrontation, un
modèle qui, souligne-t-elle, existe aussi aux États-Unis
et en Angleterre. Pour ce faire, la professeure travaille avec
ses étudiants sur près de 250 courriels reçus
par des personnalités publiques de la région prises
pour cibles par les auditeurs de deux stations radiophoniques,
CHOI-FM ET CKNU. Le résultat de ces recherches sera diffusé
lors d'un colloque sur la violence verbale tenu en France en
avril. "Je m'intéresse à la façon dont
les discours radiophoniques sont repris dans les relations interpersonnelles,
précise la chercheuse. On analyse les dispositifs, qu'il
s'agisse des insultes, mais aussi des actes de langage comme
les accusations, les vérités et les faussetés,
puis le ton des courriels et les figures de rhétorique
utilisées." Ces différentes analyses devrait
permettre à Diane Vincent de publier d'ici un an un traité
sur la violence verbale qui ne se limitera pas à la radio,
tant ce mode de relation semble toucher de nombreux secteurs
de la société. Après tout, comme le rappelle
Diane Vincent, "la violence engendre la violence."

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