
Non au confort et à l'indifférence Des oeuvres de mémoire à la Galerie des arts visuels par Pascale Guéricolas Il y a quelques années, la compagne de Marc Dugas a failli se faire violer lors de son jogging matinal. Pendant longtemps, le souvenir des yeux de cet homme l'a obsédée, hantant ses nuits et ses cauchemars. Une série d'agrandissements numériques, réalisés d'après le négatif d'un dessin et installés sur un des murs de la Galerie des arts visuels, dans l'Édifice La Fabrique, met justement en scène ce regard froid et voyeur. Le point de départ a été pour l'artiste un portrait-robot de la police exécuté d'après une description physique dans le but de retrouver un prédateur sexuel. "Je voulais un portrait épuré, sans aucune expression, explique cet ancien professeur à l'École des arts visuels. Les victimes d'agression sexuelle se souviennent surtout du regard de leur agresseur, alors que toutes les autres caractéristiques physiques restent floues." Marc Dugas a donc coloré de différentes façons le haut du visage de son personnage chaussé de lunettes afin d'attirer l'attention sur ses yeux. De plus, il a accolé une légende volontairement provocante à chacun de ses tirages numériques, les intitulant, entre autres, "Va te faire mettre", "Chu un maudit cochon" ou "Osti d'maniaque". Jusqu'au 6 mars, l'installation "Faits divers et d'autres natures" se veut une lutte contre l'oubli des victimes d'abus sexuels. "La crudité du texte renforce le propos dénonçant les agresseurs, explique l'artiste. Bruegel lui aussi avait droit de parole lorsqu'il peignait les gens dans la rue au 16e siècle. L'art purement plastique ne m'intéresse pas: il faut souligner les abus car, trop souvent, dans nos sociétés, on a tendance à oublier. C'est le confort de l'indifférence." Bien décidé à tirer ses contemporains de leur torpeur, l'artiste a installé en médaillon, sur un mur, les portraits réels d'un agresseur et de sa victime. Ceux-ci témoignent des tortures subies pendant les longs jours de sa détention, un texte tiré d'un article de journal. Non loin de là, sur le troisième mur de la Galerie des arts visuels, l'artiste a collé une série de photocopies de portraits d'agresseurs sexuels découpés dans des journaux récents. On y trouve le producteur Guy Cloutier, l'animateur radiophonique Robert Gillet, un prêtre du Petit Séminaire de Québec ainsi qu'un chauffeur d'autobus. "Le trait donne ici un aspect animal à ces têtes de bêtes humaines. Pour moi, l'ensemble de ces gens-là sont des abuseurs, car faire appel à des prostituées constitue aussi une forme d'abus, explique-t-il. Trop longtemps, au Québec, on a caché ce genre d'histoires alors que je crois qu'il faut vraiment dénoncer ces situations. Je me sens un peu comme un gardien de la mémoire."
Formé à l'École des beaux-arts de Montréal après un passage en sociologie, Marc Dugas a plongé dans la marmite de la contestation sociale dès son arrivée à Paris en mai 1968. Depuis, remettre en question la société fait partie intégrante du travail de ce sérigraphe qui a fondé, en 1972, Engramme, un centre d'artistes spécialisé en estampe à Québec. Dans son premier album d'artiste Les plottes, il donnait la vedette à des images tirées de revues pornographiques bas de gamme. Plus tard, il a choqué les Français en juxtaposant au mur les portraits du maréchal Pétain, du général de Gaulle et du président Mitterrand devant un simulacre de cercueil recouvert du drapeau tricolore. Aujourd'hui, son combat contestataire continue dans la section des faits divers. 
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