
Un mal nécessaire
Signe des temps? On organise maintenant
des débats sur la pertinence du recours à la grève
par Pascale Guéricolas
Qu'on la considère comme un moyen de pression indispensable,
une mesure réservée aux cas extrêmes ou une
façon de faire avancer la législation, la grève
demeure un outil indispensable pour les employés soucieux
de faire valoir leurs droits, ont reconnu les participants au
débat de la série "Participe présent"
qui a eu lieu lundi au Musée de la civilisation. Cette
table ronde publique entre Roger Valois, vice-président
de la CSN, Alain Dubuc, chroniqueur des quotidiens Le Soleil
et La Presse, Lorraine Pagé, ex- présidente
de la Centrale d'enseignement du Québec (CEQ), et Simon
Bégin, président du Comité jeunesse du Parti
libéral du Québec et étudiant à l'Université
Laval, portait sur la pertinence aujourd'hui du recours à
la grève alors que les syndiqués de la SAQ vont
peut-être reprendre le travail après deux mois passés
sur le trottoir.
D'entrée de jeu, le syndicaliste André Valois,
fort d'une longue expérience en matière de conflits
de travail, a reconnu que les travailleurs ne recouraient pas
de gaieté de cur à la grève. "Les employés
d'hôpitaux ne se transforment pas en sanguinaires quand
ils décident de faire la grève", at-il
rappelé en indiquant que ces travailleurs respectaient
les services essentiels. Du même souffle, le vice-président
à la CSN remarque que l'arrêt de travail constitue
souvent le seul moyen pour débloquer des situations. Une
affirmation qui laisse de glace Simon Bégin. Cet étudiant
en droit à l'Université Laval plaide pour des rapports
plus personnalisés et responsables entre employeur et
employés, afin que ces derniers puissent négocier
directement leur contrat sans les lourdeurs syndicales. "La
grève devrait rester un moyen extrême, il faut avant
tout moderniser les relations de travail", soutient-il.
Moins de jours de débrayage
A contrario, l'ancienne présidente de la CEQ
observe de son côté qu'il faut parfois faire la
grève pour sortir de l'impasse lorsque les employés
ont déjà manifesté, protesté par
lettres ou pétitions, organisé des conférences
de presse, ralenti le travail, tout cela en vain. Par contre,
elle remarque que le Québec y recourt moins depuis quelques
années. "En 1980, on comptait plus de 4 millions
de jours de grève, contre seulement 409 000 jours de travail
perdus en 2001, précise Lorraine Pagé. Cela montre
qu'en période de récession les travailleurs sont
moins portés à l'affrontement, et que l'accusation
du recours abusif à la grève faite souvent aux
syndicalistes est vraiment une vue de l'esprit." À
l'entendre, une grève a toutefois moins de chance de réussir
lorsque les employés concernés ne parviennent pas
à convaincre le public de l'importance de leurs revendications
comme, par exemple, dans le cas du conflit à la SAQ. "C'était
une grève stupide, lance Alain Dubuc, car il s'agissait
d'un rapport de force politique et non économique."
Tout en reconnaissant l'utilité de la grève pour
corriger les injustices flagrantes dans le secteur privé,
Alain Dubuc considère que trop souvent les syndicats interviennent
dans le débat politique comme des intervenants à
part entière et se prononcent sur des enjeux qui dépassent
largement les questions liées aux conditions de travail
et donc leur champ de compétence. Une opinion qui fait
bondir André Valois. "Même si on ne s'occupe
pas de politique, la politique s'occupe de nous", lance
ce dernier. "Il est tout à fait normal qu'on fasse
partie du débat alors que le Conseil du patronat ne se
gêne pas pour se prononcer contre l'équité
salariale, contre la conciliation travail-famille et contre les
normes environnementales", de renchérir Lorraine
Pagé.

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