
Les femmes d'abord
Le groupe féministe Salvya s'oppose à
la mixité dans certains organismes gouvernementaux
par Renée Larochelle
Il est tout à fait irréaliste de penser que
l'égalité entre les hommes et les femmes peut s'établir
par un consensus entre les deux sexes. Dirait-on aux syndicats
de s'associer aux dirigeants d'entreprise pour régler
un conflit de travail? Pourquoi cette association jugée
incongrue pour une entreprise serait-elle valable pour les femmes
et les hommes? Face à la volonté manifestée
par le Conseil du statut de la femme d'instaurer un "conseil
de l'égalité" composé d'hommes et de
femmes pour promouvoir un nouveau contrat social, quatre jeunes
féministes de l'Université Laval faisant partie
du groupe Salvya - mot latin qui signifie sauge, une plante reconnue
notamment pour soigner les pertes de mémoire - ont décidé
de réagir. Dans le mémoire qu'il a présenté
récemment à la Commission parlementaire sur l'avis
du CSF, le groupe s'oppose à toute ingérence masculine
dans des organismes essentiellement féminins comme le
Conseil du statut de la femme et le Secrétariat à
la condition féminine.
"Au point où nous en sommes dans notre quête
d'égalité au Québec, il faut plus que jamais
s'intéresser prioritairement aux jeunes femmes et les
regrouper sur une base non mixte", explique la porte-parole
du groupe, Isabelle Boily, professionnelle de recherche à
la Chaire d'étude Claire-Bonenfant sur la condition des
femmes. Les étudiantes au doctorat Hélène
Charron (sociologie) et Laurence Fortin-Pellerin (psychologie),
ainsi que Catherine Charron, étudiante au baccalauréat
en histoire, complètent le groupe. "Cela n'empêche
nullement que les jeunes femmes puissent vivre, travailler, discuter
et s'associer avec les hommes pour toutes sortes de projets particuliers,
poursuit Isabelle Boily, mais elles doivent d'abord connaître
ce qu'est la pensée féministe et les avantages
des groupes non mixtes, comme de pouvoir s'exprimer en toute
liberté sur les discriminations qui touchent les femmes
et de prendre conscience de leur situation commune."
Et la condition masculine?
Selon Isabelle Boily, on assiste actuellement à la
montée d'un discours masculiniste visant à faire
croire que les hommes sont discriminés de façon
systémique. C'est ainsi qu'au nom de la condition masculine,
des hommes nient les inégalités dont sont victimes
les femmes, insistant plutôt sur les inégalités
dont seraient victimes les hommes. "Le dialogue est impossible
avec un dominant qui ne veut pas remettre en question les schémas
de la domination qui sont au coeur de son identité, explique
Isabelle Boily. Cela dit, les hommes conscientisés aux
rapports inégalitaires entre les sexes s'impliquent déjà
aux côtés des féministes tout en ne cherchant
pas à imposer leur vision de ce que devrait être
l'égalité. Des groupes d'hommes proféministes
s'opposent d'ailleurs à la transformation du mandat du
Conseil du statut de la femme."
Interrogées sur la pertinence du féminisme dans
une société où la femme semble pourtant
sur un pied d'égalité avec l'homme, les quatre
du groupe Salvya n'ont pas peur de dire qu'au contraire, l'égalité
est loin d'être réalisée au Québec.
Dans toutes les sphères du pouvoir social - notamment
en politique, dans le milieu des affaires et chez les universitaires
- les femmes se retrouvent au bas de l'échelle. De même,
la conciliation travail-famille continue d'être une affaire
de femmes, qui sont plus nombreuses à envisager le travail
à temps partiel sans compensation, et même l'arrêt
de travail, perdant du même coup leur autonomie financière.
La violence faite aux femmes, la publicité sexiste et
la pornographie constituent d'autres aspects où la femme
écope plus souvent qu'à son tour.
Que dire du taux de suicide alarmant chez les jeunes hommes québécois
et du décrochage scolaire élevé des garçons?
Ces cas n'illustrent-ils pas le fait que les hommes perdent pied
dans une société qu'on dit davantage réceptive
aux valeurs féminines? "La tendance récente
d'imputer la responsabilité des problèmes des garçons
à leur sexe est une stratégie pour délégitimer
la lutte des femmes, souligne Isabelle Boily. Par exemple, on
oublie de dire que le tiers des adolescents et des jeunes adultes
qui se suicident sont homosexuels, ce qui est un tout autre problème.
En fait, la détresse psychologique est aussi élevée
chez les filles, mais elles réussissent moins souvent
leur suicide que les garçons."
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