Froid dans le dos Le changement climatique n'échappe pas à un effet de mode, mais le fond du problème demeure malheureusement très réel par Jean Hamann S'il existe encore des scientifiques qui ne croient pas au phénomène du changement climatique, ce n'est pas au Centre d'études nordiques (CEN) qu'il faut les chercher. Une table ronde présentée le 4 février, en tombée de rideau du 25e colloque annuel du plus ancien groupe de recherche de l'Université Laval, a été marquée par une unanimité sans équivoque sur l'importance du réchauffement planétaire et sur le fait que les chercheurs n'étaient pas inutilement alarmistes à ce sujet.
Pour les spécialistes invités à débattre du thème "Sommes-nous trop alarmistes au sujet des changements climatiques?", la hausse de la température planétaire causée par l'activité humaine ne fait plus de doute. L'étudiant-chercheur Derek Mueller, du Département de biologie, a lui-même constaté sur le terrain une manifestation de ce réchauffement. La plate-forme côtière Ward Hunt, la plus vaste de l'Arctique, s'est brisée soudainement entre 2000 et 2002, après 4 500 ans d'existence, menaçant ainsi un écosystème unique. "Quand on assiste à des événements comme celui-là, je crois que non seulement nous ne sommes pas trop alarmistes, mais nous pourrions même l'être davantage."
Les analyses géochimiques révèlent que jamais, depuis 740 000 ans, les taux de dioxyde de carbone et de méthane n'ont été aussi élevés que maintenant dans l'atmosphère terrestre, a rappelé Michel Allard, du Département de géographie. "Pour corriger la situation, il faudrait multiplier par 30 les engagements du protocole de Kyoto qui concernent les réductions de gaz à effet de serre, alors nous sommes loin d'être alarmistes. Nous assistons présentement à un dérèglement majeur de la planète." Dans l'air du temps Les participants au débat ont toutefois admis que les recherches sur les changements climatiques étaient "à la mode". "Les organismes subventionnaires et les éditeurs de revues scientifiques montrent beaucoup d'intérêt pour les travaux qui touchent ce sujet, a observé Dominique Berteaux, professeur à l'UQAR. Il y a un effet de mode et d'imitation parmi les chercheurs. C'est humain. L'intérêt va sans doute diminuer lorsque d'autres problèmes vont apparaître", commente-t-il. Michel Allard a constaté lui aussi que beaucoup de chercheurs s'étaient récemment découvert un intérêt pour le réchauffement de la planète. "Les gouvernements mettent de l'argent dans ce domaine et c'est de bonne guerre que les chercheurs essaient d'y relier leurs travaux. Les projets qui ne sont pas pertinents vont disparaître éventuellement."
Les changements climatiques ont le dos large, ont noté certains participants. "Il y a une tendance à tout relier aux changements climatiques, a observé la modératrice du débat, Louise Filion, du Département de géographie. Certains ont même suggéré que le récent tsunami était une manifestation du réchauffement planétaire. À ce que je sache, l'origine de cette catastrophe était un tremblement de terre." Pour sa part, Reinhard Pienitz, du Département de géographie, a mis ses collègues en garde contre la tendance à donner "une interprétation biaisée en faveur du réchauffement climatique" aux données ou aux événements. "Nous sommes tous biaisés, je le reconnais, mais je ne suis pas certain que des événements comme les inondations au Saguenay ne résultent pas de la convergence de conditions rares et exceptionnelles que nous connaissons mal, plutôt que du réchauffement climatique."
Pour François Morneau, géographe à la Sécurité civile du Québec, il ne fait pas de doute que les pluies diluviennes, les tempêtes de verglas et les inondations qui ont frappé le Québec depuis quelques années sont des manifestations du changement climatique. "Il y a de plus en plus de mini catastrophes et ce ne sont que des previews de ce qui nous attend, a-t-il prédit. C'est pourquoi il est important que les chercheurs disent haut et fort ce qui se passe pour contrer l'inertie des gouvernements et des entreprises."
Pour se faire entendre, les scientifiques devront toutefois compter sur les médias. Malgré tous les torts qu'ils leur attribuent, et ils sont nombreux, - sensationnalisme, émotivité, superficialité, manque de nuance, alarmisme -, les chercheurs devront composer avec ce mal nécessaire. "Les médias sont indispensables au prolongement de nos travaux, a souligné le directeur du CEN, Yves Bégin. Les articles scientifiques que nous écrivons sont lus par quelques dizaines de spécialistes, alors qu'un reportage dans les médias peut rejoindre des centaines de milliers de personnes. Les médias, c'est la population." | |