
Invasion japonaise
La renouée japonaise a pris d'assaut
le territoire québécois. Même le quartier
Montcalm y passe!
par Jean Hamann
Elle croît très rapidement, elle s'adapte à
tous les milieux et elle produit de jolis petits bouquets de
fleurs blanches. Pas étonnant que plusieurs jardiniers
amateurs bien intentionnés mais mal avisés se laissent
duper et plantent de la renouée japonaise dans leurs plates-bandes.
Mais, sous ses beaux atours, cette espèce originaire d'Asie
cache un féroce envahisseur. L'étudiante Marie-Claire
LeBlanc, du Département de géographie, l'a constaté
en dressant la carte de répartition et d'abondance de
Fallopia japonica dans le quartier Montcalm.
La renouée japonaise forme de
vastes colonies qui étouffent la flore indigène
photo Marie-Claire LeBlanc |
"Nous avons choisi ce quartier de la ville de Québec
parce que plusieurs colonies y avaient déjà été
détectées, mais aussi parce qu'on y trouve des
espaces verts où l'envahisseur pourrait avoir des conséquences
plus importantes sur la diversité végétale",
a-t-elle expliqué, lors du colloque étudiant du
Centre de recherche en aménagement et développement
(CRAD), qui avait lieu le 21 janvier. Sous la direction de Claude
Lavoie, professeur à l'École supérieure
d'aménagement du territoire et du développement
régional et membre du CRAD, Marie-Claire LeBlanc a parcouru
les rues, ruelles, parcs, espaces verts et même les talus
sud (falaise donnant sur le boulevard Champlain) et nord (coteau
Sainte-Geneviève) bordant la colline de Québec,
à la recherche de cette plante qui infiltre le territoire
québécois sous diverses identités.
En fait, peu de gens connaissent la renouée japonaise
sous son véritable nom. Au Canada, on entend tantôt
bambou japonais, bambou mexicain et même bambou québécois
(à chacun ses envahisseurs!), des noms qui font référence
à sa tige creuse et à ses origines étrangères.
Les anglophones la désignent aussi sous le nom de mile-a-minute
weed, qui évoque le prodigieux taux de croissance
et de propagation de cette plante de 2 mètres, ou encore
de Hancock's curse (malédiction de Hancock), qui
salue son increvable résistance au désherbage.
Les rhizomes de cette plante peuvent plonger jusqu'à 5
mètres de profondeur dans le sol et un segment de 4 cm
suffit pour produire une nouvelle tige. "Ces segments peuvent
entrer en dormance pendant 10 ans avant d'être activés",
précise Marie-Claire LeBlanc.
La beauté du diable
Sur le territoire de 4 km carrés qu'elle a étudié,
l'étudiante a découvert 272 colonies de renouée
japonaise, dont plus du tiers (37 %) comptent 100 tiges ou plus.
Les colonies sont surtout localisées sur des terrains
privés (42 %), mais elles débordent sur les milieux
naturels (19 %), où elles forment d'immenses populations
de plusieurs centaines de tiges. "Cette espèce menace
la diversité végétale des talus du boulevard
Champlain et du Coteau Sainte-Geneviève", estime-t-elle.
La renouée japonaise sort de terre tôt au printemps
et les colonies qu'elles forment bloquent la lumière aux
autres plantes. En plus, ses racines produisent des toxines qui
empêchent l'établissement d'autres espèces,
ajoute-t-elle.
La renouée japonaise aurait fait son apparition en Europe
vers 1850; 50 ans plus tard, elle débarquait en Amérique
du Nord. Sa présence dans la région de Québec
est signalée pour la première fois en 1942, dans
un parterre de Limoilou. Les dommages qu'elle cause à
l'environnement ont forcé l'Union internationale pour
la conservation de la nature à l'inscrire dans sa liste
des 100 pires espèces envahissantes de la planète.
Au pays, son statut est encore flou, mais la croissance rapide
de ses populations ne laisse présager rien de bon. On
ne lui connaît aucun ennemi naturel qui pourrait freiner
sa course; en fait, elle dispose même d'alliés -
les jardiniers amateurs - qui contribuent à sa propagation.
Considérant les caractéristiques de la plante et
le fait que les jardiniers pactisent avec l'ennemi, la guerre
contre la renouée japonaise est-elle perdue d'avance?
"Je ne crois pas, répond Marie Claire LeBlanc. Mais
il est urgent que les gens sachent vraiment ce qu'est cette plante
avant que la situation ne soit aussi grave qu'en France et qu'au
Royaume-Uni.
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