
La radio, de la liberté de parole à la haine de l'autre Quand la liberté d'expression donne lieu au dénigrement et aux discours haineux Par Thierry Bissonnette Au cours des derniers mois, on a énormément parlé du monde radiophonique dans la capitale québécoise, d'abord en ce qui concerne l'éthique applicable à ce média. Ce n'est pourtant pas d'hier que la radio donne lieu à des interventions pouvant tourner à la provocation ou à la dérive démagogique. Alors qu'on peut y voir un formidable outil d'expression, la vulgarité et la malhonnêteté intellectuelle de certains animateurs poussent à considérer la nécessité de balises plus importantes.
Sans s'en tenir à un pur jugement de valeurs, une équipe dirigée par Diane Vincent et Olivier Turbide entreprenait en 2003 de s'interroger sur les procédés langagiers utilisés par les ténors de la radio-choc. C'est ce dont on retrouve un condensé sous le titre Fréquences limites, La radio de confrontation au Québec, petit ouvrage publié par les éditions Nota bene et qui rassemble les contributions d'une vingtaine d'étudiants et de spécialistes du département de langues, linguistique et traduction de l'Université Laval.
Groupés en sept équipes, ces derniers ont effectué l'exercice dans le cadre d'un cours d'analyse de discours, prenant alors pour objet la parole d'animateurs tels André Arthur, Jean-François Fillion et Pierre (" Doc ") Mailloux. C'est donc sur un type très particulier de radio que les analyses allaient porter, soit la radio dite "de confrontation", dont Catherine Villeneuve brosse un petit historique en ouverture ("Radio talk, talk radio, trash radio"). Particulièrement saillante dans la région de Québec, cette "radio-poubelle" se voit ainsi disséquée, ce qui révèle un alliage complexe d'exutoire verbal et de monstruosité idéologique.
Sous le couvert du divertissement et du clownesque, les animateurs étudiés n'en prétendent pas moins dire "les vraies affaires", d'où l'intérêt de bien situer leur pratique et d'en étudier les répercussions chez l'auditoire. Sans succomber aux présupposés faciles, les différentes équipes envisagent les transcriptions d'émissions selon les rubriques suivantes: La rhétorique, L'interaction, La construction d'un monde en noir et blanc. Il s'agissait donc de faire ressortir les moyens langagiers dont les animateurs font usage, le type de relation qu'ils établissent avec leur public, de même que les système de valeurs qu'ils construisent ou soutiennent. Spectacle? Intervention politique? Un peu des deux, s'il faut en croire les auteurs, puisque le divertissement procuré passe bien souvent par la diffusion de rumeurs et emprunte les voies de la diffamation ou du dénigrement, ce qui peut s'accompagner de propos sexistes, racistes, haineux, etc. Si la chose s'applique très bien à André Arthur et à Jeff Fillion, qui n'utilisent bien souvent leurs invités et coanimateurs que comme des faire-valoir, le cas de Pierre Mailloux et autres adeptes de la psycho-pop en ondes est examiné sous un autre angle. C'est non plus le mépris de la parole de l'autre qui se révèle, mais plutôt une culpabilisation souvent maladroite et qui, pour les auditeurs les plus vulnérables, pourra s'avérer plus néfaste qu'autre chose. Mais dans tous les cas, la perspective mercantile des stations de radio est à souligner, et suffit à discréditer l'argument de la liberté d'expression.
Grâce à une synthèse des différentes approches effectuées, ce travail collectif parvient non seulement à décrire des manifestations notoires de nuisance publique, mais nous prépare aussi à intervenir contre un phénomène qui, en l'absence d'un contrepoids suffisant, pourrait fort bien s'aggraver.

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