La pauvreté déchiffrée
Un programme informatique conçu
par l'économiste Jean-Yves Duclos aide les chercheurs
des pays en développement
par Renée Larochelle
Jean-Yves Duclos se souvient encore des images diffusées
à la télévision montrant les corps décharnés
des enfants du Biafra en train de mourir de faim, à la
fin des années 1970. "J'avais cinq ans et je n'arrêtais
pas de demander à ma mère ce que nous pourrions
faire pour aider ces enfants. Je ne pouvais pas imaginer qu'on
reste là, bras ballants, sans réagir", raconte
ce professeur du Département d'économique reconnu
aujourd'hui comme l'un des grands spécialistes canadiens
des questions de pauvreté.
C'est dans cet esprit que Jean-Yves Duclos a développé
un programme informatique des plus novateurs en 1998. Baptisé
DAD (Distributive Analysis/Analyse distributive), ce programme
permet aux chercheurs des pays en développement de mesurer
eux-mêmes l'indice de pauvreté de leur pays, une
opération autrefois réservée aux chercheurs
des pays riches, en raison des méthodes coûteuses
et complexes qui y sont liées. Après avoir débuté
au Cameroun, DAD a pris de l'envergure: six ans après
sa mise sur pied, quelque 700 utilisateurs provenant de dizaines
de pays en développement profitent de ce programme financé
par le Centre de recherches pour le développement international
(CRDI) du Canada. Les indices utilisés sont ceux des organisations
internationales comme les Nations Unies, le Fonds monétaire
international et la Banque mondiale pour suivre le développement
économique international et allouer des bourses et des
prêts aux pays en développement.
Un certain bien-être
"Le fait que les populations des pays en développement
puissent elles-mêmes dresser le portrait statistique de
leur pays et être en mesure de conseiller les décideurs
sur les répercussions de leurs politiques sur les plans
humain et économique leur donne un grand sentiment de
confiance et de contrôle, explique Jean-Yves Duclos. Les
gens se sentent moins démunis et ont la sensation de travailler
par eux-mêmes et pour eux-mêmes. En bout de ligne,
c'est une situation qui ne peut servir qu'à améliorer
les relations entre le Nord et le Sud."
Car le monde change et doit changer, estime Jean-Yves Duclos.
L'économiste voit d'un bon il la montée économique
fulgurante de pays en voie de développement comme la Chine
et l'Inde. "Nous sommes devant deux pays qui veulent sortir
de la misère, dit-il. Je crois que nous devrions nous
réjouir de la situation et les encourager à continuer
à s'intégrer au marché mondial." Devant
la résistance des nations capitalistes à ces géants
qui bousculent la structure industrielle établie, Jean-Yves
Duclos prône l'ouverture et considère tout à
fait légitime et normal que des personnes aspirent au
même niveau de vie que celui des pays riches.
"Pour moi, le monde idéal serait un monde où
tous les êtres humains auraient accès aux mêmes
libertés fondamentales sans que des barrières artificielles
leur soient imposées. Et l'une de ces libertés
est celle d'atteindre un certain état de bien-être,
tout simplement."
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