
Les Survenants du Mid-West Selon François Paré, l'émigration massive des Québécois aux 19e et 20e siècles a favorisé l'ouverture du Québec moderne sur le monde par Yvon Larose "J'aime à penser que le Québec a été façonné positivement et négativement par l'émigration massive de ses citoyens durant le siècle qui a précédé la Révolution tranquille de 1960", indique François Paré, essayiste et directeur du Département d'études françaises de l'Université de Waterloo, en Ontario. Selon lui, il n'est pas certain que le Québec aurait vécu cette rupture significative de la Révolution tranquille si tous étaient restés dans leur village respectif. "Le Québec compterait aujourd'hui autour de 12 millions d'habitants si l'émigration n'avait pas été aussi considérable, explique-t-il. Selon certains, le Québec aurait accédé à l'indépendance politique si l'émigration n'avait pas eu lieu. C'est possible, mais la société québécoise aurait été, à mon avis, plus conservatrice, moins ouverte sur le monde et en particulier sur l'Amérique." François Paré a reçu cet automne le prix Victor-Barbeau de l'Académie des lettres du Québec pour son ouvrage La distance habitée, un essai sur la migration et la distance. Le mardi 14 décembre, à l'invitation de quatre regroupements de chercheurs de l'Université Laval, il a prononcé, au pavillon Charles-De Koninck, une conférence sur le Michigan des 19e et 20e siècles comme espace diasporal canadien-français. Deux récits de migration ont servi à illustrer son propos, soit l'histoire du couple Papineau-Dontigny et le roman récent de l'écrivain franco-ontarien Maurice Henrie, Une ville lointaine.
Selon François Paré, les communautés diasporales québécoises, aux États-Unis comme au Canada, sont étroitement liées à l'évolution historique du Québec moderne. "L'ouverture à l'américanité contribue, dès 1850, au positionnement de la culture québécoise comme une culture qui a des aspirations continentales", soutient-il. Il avance que le personnage principal du roman Le Survenant de Germaine Guèvremont "c'était le Québec, ces villageois et villageoises partis un à un, en une irradiation spontanée". Citant le sociologue Fernand Dumont, il demande: "Qui d'entre nous ne compte pas parmi ses parents des errants qui, après un séjour aux États-Unis, sont revenus ici continuer de vivre en français? Depuis toujours, nous connaissons les grands vents de l'Amérique". Deux cultures de l'itinérance Parmi les centaines de milliers de Québécois et de Québécoises ayant émigré aux États-Unis aux 19e et 20e siècles, des dizaines de milliers se sont enracinés dans la région des Grands Lacs, plus précisément dans le Haut Michigan. Ils ont fondé plusieurs des villes actuelles, notamment Marquette, Escanaba, Manistique, Calumet et L'Anse. Le bottin téléphonique de la ville d'Escanaba consacre d'ailleurs trois pages au seul patronyme "Papineau". Le premier Papineau, prénommé Ferdinand, s'établit au Michigan en 1870 à l'âge de 14 ans. Treize ans plus tard, il épouse Marie-Antoinette Dontigny, une jeune fille de 18 ans qui vivait dans une ferme près de Trois-Rivières. Le couple a eu onze enfants. Après le décès de deux enfants à l'adolescence, Marie-Antoinette quitte Escanaba seule avec ses enfants pour s'installer au Minnesota. "La migration entraîne chez beaucoup de gens un désir de repartir, souligne François Paré. Ayant acquis l'anglais et la connaissance de la culture américaine, les migrants québécois deviennent très mobiles. Ils sentent qu'ils peuvent vivre partout, tout leur est ouvert." Le roman Une ville lointaine met en scène l'itinérance. Dans ce récit, les personnages entreprennent un voyage initiatique ayant pour destination la ville d'Escanaba où ils espèrent retrouver qui un enfant, qui un proche parent, qui un conjoint ayant mystérieusement disparu. "Lutte émouvante contre la disparition, cette oeuvre troublante constitue une puissante allégorie de l'espace diasporal canadien-français, affirme François Paré. Les personnages n'atteindront jamais leur destination, car Escanaba n'est qu'un relais, ou plutôt une intersection, dans le réseau sans fin des portages migratoires."

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