
Des paysages à la carte
par Renée Larochelle
Pour avoir une idée d'ensemble d'une ville, d'une région
ou d'un pays, rien ne vaut une bonne carte. En effet, avec une
carte en main, le paysage fait son chemin dans notre tête,
les routes nous mènent là où on veut aller
et on peut se perdre dans le décor, avec son billet de
retour dans la poche. Mais si le paysage a toujours été
là, la carte, elle, n'a pas toujours été
dans le paysage, a révélé Annie Antoine,
professeure d'histoire moderne à l'Université de
Rennes, lors d'une conférence donnée dans le cadre
des Midis du Centre interuniversitaire d'études québécoises
(CIEQ), le 16 décembre.
"Sans le savoir, l'homme de Cro-Magnon avait un paysage
devant lui mais la carte réalisée dans le
but de faire connaître un paysage - est une invention moderne,
a expliqué Annie Antoine. En fait, on a un paysage devant
soi quand on découpe un petit morceau de pays. Et ce paysage,
conçu dès lors comme un objet d'étude, donne
des indices sur la société qui l'a façonné."
Pour illustrer ses dires, cette spécialiste de l'histoire
des sociétés rurales à l'époque moderne
a montré, entre autres, la photo d'un bocage, paysage
caractéristique de l'Ouest de la France, avec ses prés,
ses haies et ses arbres. Si le paysage tel qu'il apparaît
aujourd'hui exhale le romantisme, servant de décor de
rêve aux amoureux du dimanche ou encore de carte postale
aux touristes à la recherche de douces émotions,
il n'en était sûrement pas de même au 18e
siècle quand les animaux de ferme menaient le bal sur
cet espace privé clairement délimité par
des haies. En effet, pour empêcher les animaux de s'éparpiller
dans la nature, en somme pour garder les bêtes groupées,
les prés étaient "fermés" par
des haies soigneusement taillées. Les cartes dessinées
à l'époque témoignent que "autre temps,
autre paysage".
"Le dessinateur savait qu'il devait donner une idée
de la nature qui s'offrait à lui afin que d'autres puissent
s'y reconnaître, a souligné Annie Antoine. À
cet égard, il demeure fidèle au paysage mais il
n'hésite pas à rompre l'alignement des arbres pour
faire plus naturel. Tout est dessiné à la plume.
Puisqu'il n'y a pas de légendes sur ces cartes, le dessinateur
va utiliser respectivement une teinte de jaune et de bleu pour
indiquer qu'il s'agit d'une prairie et d'un cours d'eau, par
exemple." Enfin, la carte permet aux propriétaires
terriens d'avoir une vue d'ensemble de leurs terres et d'y percevoir
les droits qui leur reviennent. Ces cartes sont-elles toujours
représentatives de la réalité? Voilà
la question à se poser, croit Annie Antoine. Une chose
est certaine: elles permettent incontestablement aux historiens
de s'y retrouver dans le paysage historique, bref, de ne pas
perdre la carte.

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