Chercheurs de choc
Robert Tanguay et ses collègues de l'Université
Huazhong utilisent les protéines de choc thermique pour
sonder la santé des travailleurs chinois
par Jean Hamann
Une équipe canado-chinoise vient de démontrer
que la présence d'anticorps spécifiques à
certaines protéines de choc thermique dans le sang de
travailleurs évoluant dans un environnement bruyant constitue
un facteur de risque de perte d'audition. L'identité exacte
de ces protéines permet même de prédire quelles
seront les fréquences auditives touchées, précise
le professeur Robert Tanguay, de la Faculté de médecine,
qui publie un article sur la question, avec ses collègues
chinois, dans une récente édition de la revue scientifique
Cell Sress & Chaperones.
Cette étude vient s'ajouter à la vingtaine d'autres
que Robert Tanguay et l'équipe du professeur Tangchun
Wu ont réalisées depuis 15 ans dans le cadre de
l'accord entre l'Université Laval et la Huazhong University
of Sciences and Technology de Wuhan. Toutes ces études
ont un dénominateur commun: elles font appel aux protéines
de choc thermique pour traquer l'effet des stress industriels,
environnementaux ou autres sur la santé de la population
chinoise.
D'abord découvertes chez des organismes soumis à
la chaleur, les protéines de choc thermique se retrouvent
aussi bien chez les drosophiles - où elles jouent un rôle
dans leur longévité - que chez l'homme. Les cellules
les synthétisent en réponse à divers stress.
"Elles interviennent dans la biosynthèse des protéines
en prévenant leur dénaturation et leur agrégation,
explique le professeur Tanguay. Ces molécules font office
de chaperon, c'est-à-dire qu'elles jouent un rôle
dans le pliage des protéines et dans leur conformation
spatiale."
Choc des idées
La longue collaboration entre Laval et Huazhong a débuté
un an après les événements de la place Tienanmen.
"J'avais été invité à donner
22 heures de cours à l'Institut de médecine du
travail, parce que les chercheurs chinois voulaient utiliser
les protéines de choc thermique comme marqueurs de stress
thermique chez les travailleurs de l'acier, raconte Robert Tanguay.
Wuhan est l'une des villes chaudes de la Chine avec des températures
de près de 40 degrés Celsius en juillet. Les coups
de chaleurs y sont fréquents et dangereux."
À la surprise des chercheurs, les travailleurs soumis
à de hautes températures montraient des taux normaux
d'anticorps de protéines de choc thermique. Par contre,
35 % des travailleurs exposés à certains polluants
industriels possédaient des anticorps spécifiques
à certaines protéines de choc. "Ces travailleurs
avaient des taux de cancer huit fois plus élevés
que les autres. Ça a été le point de départ
de notre programme de recherche", raconte le professeur
Tanguay. Depuis, l'équipe Laval-Huazhong a traqué
les protéines de choc chez d'autres catégories
de travailleurs, mais aussi chez des enfants et des personnes
âgées, ainsi que chez des personnes souffrant de
diverses maladies.
L'entente Laval-Huazhong a bénéficié du
programme d'échange de chercheurs, financé par
les Instituts de recherche en santé du Canada et la Natural
National Science Foundation of China. Grâce à ce
programme, Robert Tanguay a pu effectuer seize séjours
en Chine et recevoir plusieurs stagiaires dans son laboratoire
de l'Université Laval. "Au début, la collaboration
était surtout axée sur la formation des chercheurs
chinois, reconnaît le professeur Tanguay. Maintenant, c'est
l'aspect recherche qui domine."
En Chine, la recherche fait une montée fulgurante, poursuit
Robert Tanguay. "Les fonds de recherche disponibles et les
salaires sont maintenant décents pour les professeurs-chercheurs.
Ils reçoivent des primes basées sur leurs succès
aux concours de subventions. C'est le capitalisme à son
extrême présentement."
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