Québec, ville de carte postale: une légende
urbaine?
Loin d'être sur son déclin, la
capitale posséderait des atouts majeurs pour prendre sa
place dans le nouveau siècle
par Renée Larochelle
Y-a-t-il moyen de créer des lieux d'échange
à Québec au lieu d'y développer des autoroutes?
Pourquoi Québec ne deviendrait-elle pas la ville d'Amérique
du Nord offrant le plus grand nombre de pistes cyclables? Pourquoi
n'y retrouverait-on pas le plus grand réseau de pistes
de ski de fond au Québec? Ces rêves, Pierre Thibault
les a faits à voix haute, alors qu'il participait au débat
de la série Participe présent ayant pour thème
"Québec est-elle condamnée à un avenir
de carte postale?" qui a eu lieu le 6 décembre au
Musée de la civilisation. Architecte de renom, chargé
de cours à la Faculté d'aménagement, d'architecture
et des arts visuels, Pierre Thibault parcourt le monde pour son
travail et ses loisirs. En somme, il pourrait très bien
vivre ailleurs. Mais c'est à Québec qu'il choisi
d'élever ses enfants, à cause de la qualité
de vie offerte par cette ville "à la fois américaine
et européenne".
"La raison pour laquelle nous sommes si bien dans des
villes comme Barcelone, Paris ou Rome, est fort simple, a révélé
Pierre Thibault. C'est qu'on y trouve des places dans le
vrai sens du terme - où les gens, autant les jeunes que
les vieux, peuvent se rencontrer et se regarder vivre. C'est
un peu ce qui manque à Québec." Selon l'architecte,
la création d'une dizaine d'espaces disséminés
à travers la ville pourrait agrémenter la vie de
bien des gens. Un étang, quelques bancs, un petit jardin
et le tour est joué! "Je connais plusieurs personnes
qui vont se récréer avec leurs enfants dans des
espaces de ce genre à Québec. Ce n'est pas compliqué
et les coûts pour ce type de réalisation ne sont
pas élevés. Pour 10 000 $ environ, on peut arriver
à créer un endroit à la fois paisible et
vivant pour tout le monde."
Tout un capital
Québec, ville fermée sur le monde? Québec,
petite capitale provinciale? Sûrement pas pour Sophie D'Amours,
professeur en génie mécanique à la Faculté
de sciences et génie et directrice de la recherche et
de l'administration du consortium de recherche FOR@C (De la forêt
au client). Pour elle, Québec est avant tout une ville
de services pouvant s'enorgueillir d'une grande université,
qui emploie à elle seule 4 000 personnes et accueille
38 000 étudiants. Sans compter la présence de Desjardins,
plus grande institution financière au Québec et
6e au Canada, en constante croissance, avec plus de 100 milliards
de dollars à son actif.
"Qu'y t-il là de déprimant? demande Sophie
D'Amours. Serions-nous mieux équipés avec une structure
industrielle basée sur la production de masse de produits
de première transformation? Certaines régions du
Québec vivent aujourd'hui la mondialisation bien difficilement.
Peu diversifiées, elles voient aujourd'hui de nombreux
emplois être délocalisés. Ce n'est pas qu'on
ne doive pas supporter ce secteur, mais le futur des entreprises
manufacturières en Amérique du Nord repose sur
des entreprises très spécialisées, robotisées
et très productives. Encore là, la ville de Québec
peut profiter de plusieurs centres de transferts technologiques,
comme le Centre de recherche industrielle (CRIQ) ou Forintek
(Institut de recherche sur les produits du bois au Canada). Sur
le plan technologique, Québec n'a rien à envier
à d'autres villes, avec la présence d'entreprises
comme Exfo, Copernic, Aeterna, Diagnocure, Infectio Diagnostic,
pour ne citer que ces exemples. Enfin, l'Université Laval
est la tête de réseau de trois centres d'excellence
du gouvernement canadien en recherche dans l'optique, la géomatique
et la recherche arctique. Et puis il y a toutes ces retombées
économiques générées par les recherches
en seconde transformation du bois, en biomédical et en
bioagroalimentaire."
Une relève permanente
Mais toute la science du monde ne changerait rien sans la
qualité de vie qui constitue en quelque sorte la marque
de commerce de Québec, selon Sophie D'Amours. "Lorsque
je demande à mes amis, dont plusieurs sont bardés
de diplômes, parlent plusieurs langues et ont voyagé
à travers le monde, pourquoi ils ont choisi de vivre à
Québec, je vous laisse deviner leur réponse."
Même son de cloche pour l'historien Jean Provencher. Habitant
Québec depuis 40 ans, il apprécie la qualité
de vie de cette ville pour lui unique au monde. "Le milieu
culturel est très riche à Québec, surtout
du côté du théâtre, estime-t-il. Nos
comédiens ont beau finir par s'exiler à Montréal,
il existe toujours une relève, c'est exceptionnel!"
Prônant l'ouverture d'un "bureau de l'imagination"
à Québec, où le commun des mortels aurait
droit de parole "au lieu des sempiternels intervenants des
Chambres de commerce et autres institutions", Jean Provencher
rêve de grands événements qui se dérouleraient
sur les falaises de Québec, où vivent une faune
et une flore inégalées. "Il ne faut pas mettre
tous ses ufs dans le même panier", croit-il, faisant
allusion au tourisme que d'aucuns considèrent comme la
seule voie possible quant à la viabilité de Québec.
"Les touristes sont là pour quelques jours seulement.
Les résidants, eux, demeurent."
Le confort et l'indifférence?
Malgré ce portrait idyllique, tout n'est pas rose
dans cette ville que d'aucuns jugent enlisée dans le confort
et l'homogénéité culturelle et linguistique.
En témoigne la période de questions ayant suivi
le débat. Comment faire face à la division qui
persiste depuis des décennies entre les habitants de la
haute-ville et ceux de la basse-ville, et la fracture sociale
qui s'ensuit? La revitalisation du quartier Saint-Roch est-elle
un leurre masquant les réalités sociales? Quelles
sont les actions à prendre pour attirer les immigrants
et les convaincre de rester? "Darwin a dit que ce n'était
pas les espèces les plus fortes qui survivaient, ni les
plus intelligentes, mais celles qui s'adaptaient le mieux au
changement, a rappelé Sophie D'Amours. Afin de poursuivre
ce changement dans le respect de ce que nous sommes, je vous
propose de nourrir les qualités de notre ville afin que
ses défauts meurent de faim."
|