Levons les voiles
Selon Tarik Ramadan, l'Islam et l'Occident
gagneraient à mieux se connaître
par Renée Larochelle
"Vous n'avez pas la même perception de l'autre,
selon que vous êtes dominé ou dominant." Pour
Tarik Ramadan, le regard que se jettent l'Islam et l'Occident
restera biaisé tant et aussi longtemps que sera tendu
entre ces univers le voile des perceptions bien arrêtées.
Et la meilleure façon de faire tomber le voile consiste,
entre autres, à refuser la simplification à outrance
qui marque l'imaginaire respectif de l'Islam et de l'Occident,
deux solitudes ayant beaucoup à apprendre l'une de l'autre.
C'est en substance le message qu'a livré le controversé
intellectuel suisse, lors du colloque sur l'Islam et l'Occident
qui a eu lieu sur le campus les 18 et 19 novembre. Pour être
sûr d'être bien compris, Tarik Ramadan a commencé
par brouiller les pistes. "Qu'entend-on par Islam, au juste?",
a t-il lancé à l'auditoire attentif qui remplissait
l'amphithéâtre Hydro-Québec du pavillon Alphonse-Desjardins.
"S'agit-il de la référence religieuse ou d'un
groupe de personnes? Même chose pour l'Occident. De qui
parle-t-on exactement? Aujourd'hui, on communique beaucoup mais
on simplifie énormément." À cet égard,
de rappeler le conférencier, pour certains musulmans,
l'Occident rime avec chrétienté, alors que pour
d'autres, c'est la terre par excellence de tous les péchés,
dont est évacuée toute trace de morale et de religion.
En même temps, cet Occident tant décrié exerce
une forte attraction sur les musulmans qui y voient "une
espérance de société plus libre, dans un
État de droit où tout est davantage possible".
De son côté, l'Islam doit cesser son discours réducteur
sur l'impérialisme américain et aller plus loin
dans le débat, d'affirmer Tarik Ramadan.
Un musulman errant
Les perceptions caricaturées et manichéennes
qu'entretiennent les pôles islamiste et occidental ne servent
la cause de personne, estime Tarik Ramadan, lui-même interdit
de séjour aux États-Unis. "En 2004, on parle
des musulmans comme on parlait autrefois des juifs d'Europe de
l'Ouest. L'entretien de la peur légitime les politiques
de surveillance. Il faut dire non aux rapports de force et ne
pas suivre la voie menant à la confrontation mais à
des intersections, de façon à faciliter la rencontre."
De cette peur qui mine les rapports entre l'Islam et l'Occident,
Tarik Ramadan dira qu'elle ne fait qu'attiser le feu de la bêtise
et de la haine. "En France, la loi sur les symboles religieux
est une loi de la peur. Les Français se demandent avec
effroi ce qu'ils vont devenir avec tant de Français de
confession musulmane chez eux. Et la roue tourne."
"N'importez pas au Canada les problèmes français,
a enfin suggéré Tarik Ramadan. Les Canadiens doivent
à tout prix se débarrasser de leurs complexes par
rapport à la France." À une étudiante
portant le voile qui lui demandait comment surmonter la sensation
d'isolement qu'elle vivait en tant que musulmane au Canada, le
conférencier a répondu que les musulmans devaient
non seulement se faire entendre mais également participer
au développement du pays. "Sortez de vos ghettos
intellectuels et sociaux et établissez des zones de confiance
avec les autres. Ne soyez pas des victimes mais des citoyens
à part entière. Rappelez-vous que la différence
entre un Canadien de souche et un immigrant, c'est que le Canadien
de souche est un immigrant de plus longue date."
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