
Du sang sur la patinoire
Si le lock-out dure un an, la Ligue nationale
de hockey pourrait perdre jusqu'à dix équipes
par Yvon Larose
La convention collective des joueurs de la Ligue nationale
de hockey (LNH) est échue depuis le 15 septembre. Une
semaine plus tard, le commissaire de la Ligue, Gary Bettman,
décrétait un lock-out au nom des 30 propriétaires
d'équipe. Depuis ce temps, les négociations avec
l'Association des joueurs sont au point mort. Selon Jean Boivin,
professeur au Département des relations industrielles
et spécialiste des conflits de travail, le conflit pourrait
durer longtemps. "Tant que les parties n'auront pas encaissé
des coûts économiques très substantiels,
explique-t-il, elles ne bougeront pas. Il faut que ça
leur fasse mal pour qu'elles modifient leur position."
Au coeur du litige il y a la volonté des propriétaires
d'imposer un plafond salarial, ce que rejette l'Association des
joueurs. "Lorsqu'une partie, en cours de négociations,
y va d'une position rigide et fermée qui ne semble pas
laisser de place au compromis, ça donne le conflit que
l'on a", souligne Jean Boivin. Ce dernier rappelle que l'Association
des joueurs a déjà soumis diverses mesures de réduction
de coûts, comme une baisse générale des salaires
de 5 %, une limitation du salaire des joueurs recrues et l'imposition
d'une taxe spéciale aux équipes à gros budget.
"Les joueurs reconnaissent implicitement l'argumentation
économique de l'employeur, dit-il. Mais celui-ci maintient
que seule sa position résoudra le problème."
Il ajoute que, comme dans toute négociation en relations
de travail, les parties sont condamnées à s'entendre.
"À moins que l'une des deux ne disparaisse, soit
par faillite de l'entreprise, ou par extinction du syndicat",
précise-t-il.
Une spirale salariale
Rappelons quelques faits. Les activités de la LNH
génèrent des revenus annuels de deux milliards
de dollars et les trois quarts de cette somme sont versés
en salaires aux joueurs. Depuis 1994, les revenus des équipes
ont eu beau augmenter de 173 %, les salaires des hockeyeurs ont
littéralement explosé avec une hausse de 261 %.
Le salaire annuel moyen d'un joueur de la Ligue nationale s'établit
présentement à 1,8 million de dollars. L'an dernier,
les revenus de télévision s'élevaient en
moyenne à environ six millions de dollars par équipe.
En comparaison, chaque équipe de la National Football
League a reçu 82 millions au cours de la même période.
Quatre équipes de la LNH ont déclaré faillite
l'an dernier et vingt autres ont déclaré perdre
de l'argent. Les pertes dues aux opérations s'élèvent
globalement dans la Ligue à 300 millions par année.
Selon Jean Boivin, les propriétaires doivent faire leur
mea culpa. "Ce sont eux qui ont ouvert le coffre-fort
en se faisant de la surenchère entre eux et en surfant
sur les revenus provenant de l'octroi de nouvelles concessions,
sans compter les anticipations irréalistes sur les revenus
de télévision pour un sport qui, selon moi, est
en perte de vitesse de façon générale en
Amérique du Nord."
Des conséquences désastreuses
André Richelieu, professeur au Département
de marketing et spécialiste du développement du
capital de marque des équipes professionnelles, croit,
quant à lui, qu'un conflit prolongé aura des conséquences
désastreuses pour la Ligue nationale de hockey. "Si
le conflit dure un an, dit-il, jusqu'à dix équipes
pourraient disparaître au Canada et aux États-Unis.
Elles auront perdu tellement d'amateurs, actuels et potentiels,
qu'elles ne pourront pas en attirer suffisamment pour survivre."
Si le conflit perdurait plus d'un an, plusieurs vont même
jusqu'à prédire la disparition de la Ligue. "Si
la LNH était démantelée, poursuit André
Richelieu, une nouvelle ligue pourrait démarrer sur des
bases plus saines avec un partage des revenus, un plafond salarial
et des propriétaires disciplinés."
Il y a quelques semaines, le magazine Maclean's publiait
les résultats d'un sondage mené au Canada auprès
d'amateurs de hockey. Soixante-dix pour cent d'entre eux ont
déclaré que le hockey ne leur manquait pas. "Imaginez
ce que ce serait à Nashville ou en Caroline!", lance
André Richelieu. Selon lui, plus le lock-out durera longtemps,
plus les consommateurs vont se tourner vers d'autres formes de
divertissement. Les ramener ensuite au hockey ne sera pas évident
à cause du prix exorbitant des billets. Les commanditaires
qui auront déplacé une partie de leur budget promotionnel
vers d'autres types de spectacles pourraient bien ne pas revenir
s'afficher sur les bandes des amphithéâtres de la
LNH une fois le conflit réglé. Et les chaînes
de télévision américaines ne se bousculeront
sans doute pas au portillon compte tenu des revenus très
bas anticipés aux États-Unis pour la diffusion
de parties de hockey.

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