Au-delà du problème
Frédéric Gourdeau donne un
show de maths étourdissant
par Renée Larochelle
"En assistant à des congrès scientifiques,
j'ai remarqué que les mathématiciens qui semblaient
trouver les propos du conférencier ennuyeux avaient tendance
à ne plus écouter et à faire leurs travaux.
C'est pour cette raison que je vous ai distribué des énigmes
à résoudre: on ne sait jamais!"
La manoeuvre était habile, mais l'auditoire qui remplissait
l'amphithéâtre du pavillon Adrien-Pouliot pour entendre
Frédéric Gourdeau, le 10 novembre, dans le cadre
de la Semaine des sciences et du génie, n'a pas eu à
se rabattre sur ces mystérieux en-cas, le conférencier
ayant tenu son public en haleine durant les 60 minutes bien sonnées
qu'a duré son exposé. Faisant brillamment la preuve
par neuf que les mathématiques étaient tout - sauf
"plates" - ce professeur du Département de mathématiques
et de statistique à la langue bien pendue s'est ingénié
à démontrer que, loin d'être froides et inhumaines,
les maths constituaient plutôt une source de créativité
et d'imagination.
Quand il s'agit de mieux comprendre le monde dans lequel nous
vivons, les maths proposent une infinité de réponses,
dans un constant dialogue avec l'univers. Et ce matheux dans
l'âme de narrer cette "anecdote historique" pour
lui fascinante: celle du mathématicien grec Ératosthène
(276-194 av. J.-C.) qui, il y a plus de 2 000 ans, inventait
une méthode simple et originale pour déterminer
la circonférence de la terre, en se basant sur les ombres
portées au midi solaire. En relevant ce défi de
taille, Ératosthène aura effectué une des
plus importantes percées scientifiques de son époque,
en plus d'ouvrir la voie à d'autres découvertes.
"En mathématiques, il faut partir de ce que les autres
ont fait et aller plus loin qu'eux, dira plus tard Frédéric
Gourdeau. À cet égard, Isaac Newton a déjà
affirmé que s'il avait été capable de voir
plus loin que les autres, c'est parce qu'il était assis
sur des épaules de géants." Historiquement,
les mathématiques n'ont pas toujours eu leurs lettres
de noblesse, notamment auprès de l'Église, naguère
utilisatrice de chiffres romains, qui voyait dans l'intrusion
des chiffres arabes se profiler quelque force diabolique. Langage
puissant, porteur de savoir et de pouvoir, les mathématiques
dérangeaient en quelque sorte l'ordre établi. Ainsi,
ce n'est pas pour rien que saint Thomas d'Aquin ressentait un
malaise face à la théorie des nombres infinis,
parce que cette idée remettait en question la suprématie
de Dieu, considéré comme l'être infini par
excellence. "Résumons en disant que la connaissance
des chiffres rendait simples les choses qu'on aurait voulu garder
compliquées", a rappelé le mathématicien.
Tout un numéro
C'est en résolvant les fameuses énigmes du
professeur Jissé qui paraissaient dans le journal Le
Soleil il y quelques années que Frédéric
Gourdeau a connu ses premiers émois de mathématicien.
Ni meilleur ni pire que les autres en maths au primaire, comme
il le dit lui-même, les choses changent cependant en quatrième
secondaire, alors que l'adolescent se classe premier de son école
et 12e au Québec, lors du concours annuel de l'Association
des mathématiques du Québec. "C'est à
ce moment que je me suis dit que j'étais peut-être
bon", blague-t-il. Après avoir complété
un baccalauréat en mathématiques à l'Université
Laval au début des années 1980, Frédéric
Gourdeau commence un doctorat en mathématiques à
la très prestigieuse université de Cambridge, en
Angleterre, l'une des meilleures universités au monde
en la matière. En compagnie d'étudiants triés
sur le volet, il passera quatre années exceptionnelles
dans cette vénérable institution où professeurs
et étudiants prenaient le thé en fin d'après-midi
tout en devisant des derniers théorèmes.
"Trouver une réponse que personne n'avait trouvée,
entendre les autres présenter les résultats et
partir de ces mêmes résultats pour aller plus loin,
c'est le bonheur!" Depuis une quinzaine d'années,
c'est ce goût de la découverte et du dépassement
que Frédéric Gourdeau essaie d'inculquer à
ses étudiants. "J'aime vraiment enseigner",
lance ce professeur qui fait d'ailleurs partie de l'équipe
"régulière" des professeurs étoiles
de la Faculté de sciences et de génie depuis 1998.
"Quand les étudiants posent des questions qui vont
au-delà du problème, je sais qu'ils sont en train
de faire des maths plutôt que d'apprendre." À
ceux de ses étudiants qui se destinent à une carrière
d'enseignant, Frédéric Gourdeau souhaite transmettre
l'humilité intellectuelle. " C'est facile d'expliquer
un problème lorsqu'on le comprend bien. En revanche, quand
on ne saisit pas tout, la tâche se complique. Il faut toujours
avoir l'honnêteté et l'humilité de le dire."
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