
La planète des bogues
Le passage à l'an 2000 a démontré
la vulnérabilité du monde moderne
par Yvon Larose
Sur les plans technique et informatique, le passage à
l'an 2000 a représenté une course contre la montre
à travers le monde. Plusieurs centaines de milliards de
dollars ont été dépensés dans la
conversion des systèmes afin que ceux-ci puissent gérer
le changement de date impliquant quatre chiffres. Phénomène
de grande incertitude, le "bogue de l'an 2000" a constitué
un risque, mais un risque contrôlable à la source.
S'il s'était matérialisé, il aurait engendré
des effets en cascade sur une très grande échelle
qui auraient conduit à une paralysie possible des systèmes
fonctionnels dans les pays industrialisés. Ces effets
potentiels commandaient une action préventive. Un problème
technologique est donc devenu un problème de société.
Le "bogue" s'est finalement résumé à
un phénomène sporadique d'interruptions localisées
et momentanées de services.
Dans sa thèse de doctorat en sociologie, dont il a fait
la soutenance le mardi 2 novembre, Jean-Pierre Gagnon, conseiller
au Secrétariat du Conseil du trésor au gouvernement
du Québec, soutient que la société moderne
est productrice de risques en raison des technologies qu'elle
met au point, de ses villes en expansion et de ses modes d'existence.
"Et les technologies de l'information constituent l'une
de ces formes de risques compte tenu de notre grande vulnérabilité
et de notre grande dépendance envers nos systèmes
techniques", explique-t-il. Selon lui, nous sommes entrés
progressivement dans une culture de sécurité et
le bogue de l'an 2000 nous en a montré le coût.
"La quête constante de sécurité, dit-il,
est une chose avec laquelle il faut vivre désormais."
Un niveau d'incertitude plutôt important
De la tempête de verglas de janvier 1998 au Québec,
aux 413 tornades qui ont déferlé sur les États-Unis
durant une semaine de mai 2003, du naufrage du sous-marin nucléaire
russe Koursk en 2000 à la désintégration
de la navette spatiale Columbia en 2003, du SRAS au virus du
Nil, des virus informatiques à la plus grande panne d'électricité
de l'histoire de l'Amérique du Nord survenue en 2003,
sans parler des crises financières, des crises humanitaires
et des attaques terroristes, tous ces phénomènes
font dire à Jean-Pierre Gagnon que le monde moderne est
devenu un espace de calcul du risque. "La société
moderne évolue dans un contexte de risque relativement
permanent, en raison de la défaillance probable de ses
systèmes technologiques et industriels, ou de leur fragilité
lors d'événements critiques, ou encore de leurs
effets insoupçonnés sur l'environnement, ou enfin
de ses conditions sanitaires et modes de vie, écrit-il
en conclusion de sa thèse. Elle serait donc confrontée
à un niveau d'incertitude plutôt important."
Au Canada, comme dans plusieurs pays industrialisés, le
passage à l'an 2000 a entraîné le développement
de politiques de protection des infrastructures critiques d'information.
Malgré cela, le risque demeure. "On ne peut pas tout
prévoir, souligne Jean-Pierre Gagnon. Un système
peut paraître fiable parce qu'il n'est jamais tombé
en panne. Cette conception est dangereuse, mais on peut la comprendre.
Les systèmes sont tellement complexes que nous ne sommes
pas capables de voir venir la panne. On surestime la fiabilité
et, en même temps, on ne porte pas assez attention aux
signes avant-coureurs."

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