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Chez Magritte, le titre devait surprendre plutôt
qu'apprendre
par Renée Larochelle
Un verre d'eau posé en équilibre sur un parapluie,
un château qui flotte au-dessus de la mer, une pipe qui
n'en est pourtant pas une: chez Magritte, rien n'est ordinaire.
Peintre surréaliste aux images déroutantes, le
belge René Magritte (1898-1967) nous entraîne dans
un univers mystérieux où les objets du quotidien
perdent leur nom pour se réincarner sous une autre identité.
"Ma façon de peindre est banale. Ce qui est intéressant,
c'est ce qu'elle montre", disait cet homme qui travaillait
le plus souvent sur le coin de la table de son salon. Captivé
par le choc visuel résultant de la rencontre inattendue
de deux objets, Magritte prenait également plaisir à
faire des économies d'échelle avec ce qui était
immense, à amplifier ce qui était minuscule et
à fragmenter ce qui était uni. Pour finir, il baptisait
ses tableaux de titres étranges, à mille lieux
de l'explication franche, augmentant ainsi l'effet de surprise
et de mystère chez le spectateur.
L'explication
"Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le
titre ne relève jamais du hasard chez Magritte, mais il
est toujours minutieusement choisi, a révélé
Nicole Everaert-Desmedt, professeure de sémiotique à
la Faculté universitaire Saint-Louis à Bruxelles,
lors d'une conférence portant sur les interrelations entre
les images et les titres dans l'oeuvre du célèbre
peintre, dans le cadre des midis du CELAT. "Magritte croyait
que le meilleur titre d'un tableau était encore le titre
poétique, c'est-à-dire compatible avec l'émotion
plus ou moins vive que nous éprouvons en regardant le
tableau. Le titre n'avait rien à nous apprendre, mais
il devait nous surprendre."
Par exemple, l'un des tableaux les plus populaires de Magritte
montre un homme portant un chapeau melon, le visage recouvert
d'une pomme. S'il a intitulé ce tableau La Grande
Guerre, c'est que Magritte voulait suggérer la
lutte entre le visible et l'invisible, entre qui était
montré à voir et ce qui restait caché. Dans
Les affinités sélectives, du nom d'un titre
d'un roman de Goethe qui raconte l'histoire d'un nouveau type
de relation s'établissant entre un couple, c'est non pas
l'oiseau mais bien l'uf qui est enfermé dans la cage.
Dans Alice au pays des merveilles, monde merveilleux s'il
en est un, le paysage et l'arbre empruntent des traits humains.
"Pour Magritte, il ne devait jamais y avoir d'explication,
dit Nicole Everaert-Desmedt. En fait, il se moquait des interprétations
symboliques que les spécialistes donnaient à ses
tableaux. À l'intention de ces personnes, Magritte a peint
une toile montrant une bouteille et une carotte "dressées"
côte à côte - deux symboles phalliques à
souhaits - faisant de cette toile un contre-exemple humoristique
avec un titre comme il les aimait: L'explication."
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