
Dettes transmises sexuellement
Les dettes contractées à
la suite d'un cautionnement peuvent empoisonner la vie des femmes
par Renée Larochelle
Dans la doctrine juridique anglophone, on les appelle spousal
guarantees, surety wives, emotionnaly transmitted debts ou même
love money. En français, on parle plutôt de dettes
transmises sexuellement (D.T.S.) . Non, il ne s'agit pas de maladies
vénériennes mais plutôt de dettes contractées
par une femme, habituellement à la suite d'un cautionnement,
pour garantir un prêt commercial ou personnel à
son conjoint ou à un membre de sa famille. À cause
de la relation particulière de confiance ou d'amitié
qu'elle entretient avec son débiteur, la femme signera
pour ainsi dire les yeux fermés, sans prendre le temps
d'examiner les risques encourus par son geste. Avec son conjoint,
elle n'aura souvent d'autre choix que d'accepter, pour lui signifier
son appui ou encore pour préserver une relation qui bat
de l'aile, par exemple.
C'est cette question cruciale du consentement libre et éclairé
chez la femme qui se porte caution dans un contexte affectif
qu'a débattue Louise Langevin, professeure à la
Faculté de droit, lors d'une discussion offerte par la
Chaire d'études Claire-Bonenfant sur la condition des
femmes. "La caution se donne dans l'euphorie et s'exécute
dans les larmes", en conclut Louise Langevin qui s'intéresse
à la réponse des tribunaux au phénomène
des D.T.S., dans le cadre d'une étude portant sur le droit
des contrats. Elle cite le cas exemplaire d'Anne, dont le mari
lui a demandé de signer un cautionnement pour l'achat
d'une auto, il y a plusieurs années.
Tout un contrat
"Le crédit de son mari n'était pas très
bon et elle trouvait qu'il menait un train de vie trop élevé
pour leur revenu, explique Louise Langevin. La pression familiale
aidant, elle a finalement accepté de signer, même
si elle connaissait les conséquences juridiques du cautionnement.
Plus tard, son mari a voulu se débarrasser de l'auto et
lui a menti en disant que la banque était au courant de
la revente. Le couple s'est séparé deux ans plus
tard. Anne a appris avec consternation que son mari lui avait
menti et que la banque n'était pas au courant de la revente
de l'auto. La banque lui a demandé de rembourser le solde
du prêt, soit 14 000$. On lui a alors conseillé
de faire faillite pour éviter d'avoir à rembourser
la banque. À cause de cette faillite, Anne, aujourd'hui
travailleuse autonome et mère d'un enfant, ne peut pas
emprunter, que ce soit pour l'achat d'une maison ou d'une auto.
L'impossibilité d'obtenir du crédit nuit considérablement
au développement de son entreprise. Pire : elle a perdu
confiance aux autres et a toujours peur de se faire rouler."
Comment faire pour éviter de telles situations? Selon
Louise Langevin, les femmes doivent comprendre que le risque
que le débiteur soit un jour insolvable fait partie de
la nature du consentement, d'où la nécessité
de bien comprendre toutes les clauses du contrat, au moment de
signer. "On pourrait exiger des banques qu'elles rédigent
des contrats de cautionnement dans un langage plus accessible
et plus lisible, ce qui serait déjà un pas dans
la bonne direction, note la juriste. Mais surtout, le droit devrait
faire preuve d'une sensibilité particulière à
l'égard de ces femmes. Leur liberté de consentir
doit être examinée de près à cause
de la pression créée dans la relation matrimoniale
par les liens émotifs et sexuels. Malgré leurs
expériences du monde du travail ou des affaires, qui,
dans d'autres circonstances, les rendraient plus méfiantes,
il faut savoir que les femmes font généralement
confiance au conjoint et ne pensent pas qu'il pourrait les entraîner
dans une aventure financière risquée."

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