
Montée et chute du Tibet
Le géologue Réjean Hébert
explique comment le plateau tibétain est devenu le toit
du monde
et pourquoi il ne le sera pas éternellement
par Jean Hamann
Le plateau tibétain n'a pas toujours été
le toit du monde et il ne le restera pas éternellement.
Cette région, qui a été soulevée
à une altitude de 5000 mètres, va connaître
un affaissement important qui lui fera perdre près de
la moitié de sa hauteur. Mais, ne changez pas vos projets
de voyages pour autant! Bien que certains signes d'affaissement
soient déjà perceptibles sur le terrain, la véritable
descente ne devrait survenir que dans 50 millions d'années!
"Nous assistons à la fin d'un grand processus géologique
- le soulèvement du plateau tibétain -, mais personne
d'entre nous n'en verra la fin", a sagement conclu le professeur
Réjean Hébert, au terme de l'exposé qu'il
a livré, le 6 octobre, dans le cadre des conférences
"Grand public" de la Faculté des sciences et
de génie.
Directeur du Département de géologie et de génie
géologique, ce scientifique globe-trotter, qui travaille
depuis 1998 dans la région du Tibet, a raconté
aux 150 personnes présentes pourquoi le plateau tibétain
était aujourd'hui le toit du monde. Ce haut lieu de la
spiritualité bouddhiste, isolé du reste de la planète
jusqu'au milieu du XXe siècle en raison des hautes chaînes
de montagnes qui l'encerclent, est la plus vaste région
- sa superficie est 1,6 fois celle du Québec - de haute
altitude au monde, a-t-il d'abord rappelé.
Pour en expliquer la cause, le professeur Hébert a transporté
son auditoire au Jurassique, il y a 152 millions d'années,
au moment où l'Inde s'est détachée du continent
africain pour entreprendre sa patiente migration de 6 000 kilomètres
vers l'Eurasie. "Pendant des millions d'années, l'Inde
s'est déplacée de 15 cm par an, c'est-à-dire
à peu près la vitesse à laquelle poussent
les cheveux, a imagé le géologue. Le premier contact
continental entre l'Inde et le Tibet est survenu il y a 50 millions
d'années, ce qui a ralenti la migration de la plaque indienne.
Aujourd'hui, son déplacement n'est plus que de 5 cm par
an, mais elle bouge toujours."
L'énorme poussée exercée par la plaque indienne
a soulevé le plateau tibétain, mas elle ne suffit
pas, à elle seule, à expliquer l'altitude atteinte
par cette région du monde, a poursuivi le professeur Hébert.
"Ce processus mécanique peut soulever la masse du
plateau tibétain à 3 500 ou 4 000 mètres
d'altitude. Il reste une différence de 1 000 mètres
à résoudre."
La cause alors? "La réponse est probablement une
question de chaleur, répond-il. Ce qui est chaud monte."
La partie supérieure de la croûte tibétaine
est rigide, mais à partir de 11 km de profondeur, la couche
est partiellement fondue. "Le matériel profond est
en fusion et il y a des remontées de matériel chaud",
signale le professeur Hébert. Cette chaleur provient d'éléments
radioactifs contenus dans la croûte très épaisse
du plateau tibétain. "L'épaisseur de la croûte
tibétaine atteint de 60 à 90 km, soit le double
de ce qu'on observe au Québec. Comme elle est plus épaisse,
elle contient encore plus de matériel radioactif qui dégage
davantage de chaleur." De plus, l'enfoncement successif
de plaques océaniques sous la plaque indienne, qui a précédé
le choc continental, aurait également généré
beaucoup de chaleur. "Nous travaillons sur cette hypothèse
en étudiant la géologie de la zone de suture Yarlung
Zangbo qui fait 30 km de largeur", précise Réjean
Hébert.
La plaque indienne devrait cesser d'exercer une poussée
sur le Tibet d'ici à 10 millions d'années. La descente
qui s'ensuivra ramènera ce plateau à 2 500 mètres
en 20 millions d'années. Ceux qui voudront marcher sur
le toit du monde devront alors mettre le cap sur une autre destination.
"Probablement l'Australie", prédit le professeur
Hébert.
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